Spartacus
victimes des proscriptions de Sylla, Italiens victimes de la guerre sociale et de ses transferts de propriété, Samnites dont le pays a été ravagé dix ans plus tôt, Lucaniens relégués aux tâches subalternes de bouviers et de bergers, ils ne manquent pas les hommes que Rome a poussés à la misère et au désespoir. Qu’ils soient Bruttiens ou Picentins, ces peuples méridionaux sont depuis longtemps tenus en suspicion par les Romains pour avoir pactisé avec Hannibal cent cinquante ans plus tôt 58 . D’après Strabon, « un décret du peuple […] les exclut du service militaire et leur impose […] l’obligation de remplir les fonctions serviles de courriers et de messagers publics ». Ce détail répond à une question qui se pose tout au long de l’aventure de Spartacus : comment ce Thrace peut-il diriger son armée avec autant d’intelligence stratégique dans presque toutes les régions d’une Italie qu’il n’est pas censé connaître ? Le fait que d’anciens messagers publics entrent à son service en fournit l’explication : non seulement les Lucaniens seront de bons guides dans leurs montagnes, mais ils pourront aussi expliquer à Spartacus quelles routes il devra prendre pour conduire son armée à travers toute l’Italie.
Spartacus le clément
Malgré l’aversion qu’un libre, même pauvre, porte à un esclave, certains n’hésitent pas à rejoindre les rangs de l’armée de Spartacus. Au-delà de leurs violents sentiments antiromains, ces hommes, esclaves, brigands ou libres, sont aussi fascinés par le chef. Appien donne à ce moment de l’histoire un détail qui a sans doute contribué à identifier Spartacus comme une sorte de « Robin des Bois » antique, tout en expliquant l’autorité naturelle qu’il impose à ses hommes. Cet auteur, qui est par ailleurs très dur envers Spartacus, admet que « la justice rigoureuse qu’il mit dans la distribution et dans le partage du butin lui attira rapidement beaucoup de monde ». Ainsi, Spartacus apparaît comme un chef juste dont l’équité et le courage contrastent avec la cruauté et la cupidité des anciens maîtres. Pour Salluste, qui au contraire d’Appien pare le rebelle thrace de beaucoup de vertus, Spartacus semble s’opposer « à la fureur de ces barbares [et] à leur naturel d’esclaves ». Il tente même par « des prières réitérées » d’empêcher leurs excès. Ainsi, Spartacus ne partagerait pas la haine et le ressentiment de ses hommes envers leurs anciens maîtres. Comment expliquer cette modération ? Ses propres qualités humaines peuvent jouer leur rôle. Il peut également y avoir la part plus politique d’un chef qui doit durer s’il veut échapper le plus longtemps possible aux Romains. Dans ce but, il doit éviter à tout prix les dissensions dans son propre camp. C’est sans doute pour cela qu’il prend soin de répartir scrupuleusement le butin entre chacun des groupes qui constituent son armée. Ensuite, les esclaves doivent éviter d’être surpris pendant la mise à sac d’une ville. Ce moment particulier constitue un instant de faiblesse qui peut être mis à profit par l’adversaire. Piller une cité ne constitue pas l’apanage des armées d’esclaves. Ce moment de licence accordé aux troupes victorieuses relève au contraire des lois de la guerre scrupuleusement appliquées par les civilisations les plus brillantes. Pendant plusieurs jours, les habitants d’une ville prise se retrouvent ainsi à la merci du vainqueur. Piller, violer, tuer deviennent alors totalement licite pendant un laps de temps donné. On imagine déjà mal la violence de ces mises à sac par des armées régulières. Mais de tels actes commis par des esclaves ivres de vengeance et sachant leurs chances de survie très limitées dépassent notre entendement. Paradoxalement, c’est la perspective de réduire les vaincus en esclavage qui les protège, un peu, des excès des vainqueurs. En effet, un homme ou une femme ont une valeur marchande s’ils sont vivants ; à Nola et à Nuceria, ce garde-fou très mince ne joue pas car les esclaves n’ont aucun intérêt à faire des prisonniers qu’ils ne pourront pas revendre. Alors les femmes et les enfants sont forcés, les hommes sont torturés avant d’être tués. Les cris des victimes, les rires des pillards et le sang qui ruisselle partout offrent un spectacle dantesque qu’aucun péplum ne pourra jamais restituer. Les maisons sont pillées
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