Spartacus
et les caves vidées ; les esclaves s’offrent en quelques heures la vengeance de toute une vie d’humiliations et de privations. Spartacus le sait et voit cela d’un mauvais œil. Certes, il est plaisant de croire à son humanité et à son esprit de justice. La vulgate qui fait de lui une sorte de proto-Jésus va dans ce sens. Certes, l’homme est sympathique à bien des égards, mais Spartacus demeure avant tout un chef de guerre dont les priorités sont bien différentes. Il sait très bien que la victoire contre le légat Claudius ne peut rester impunie. Rome dépêchera forcément une autre armée, plus puissante et mieux commandée, contre lui. Qu’arrivera-t-il si ces Romains tombent sur l’armée des esclaves alors que ceux-ci sont occupés à piller une ville de fond en comble ? Tous plus ou moins ivres, dispersés dans les différentes maisons éventrées, se bagarrant entre eux pour se disputer les plus belles femmes, les esclaves ne pourraient offrir aucune résistance à une légion en ordre de bataille et l’aventure s’arrêterait rapidement dans un bain de sang. C’est sans doute en obéissant à de telles préoccupations davantage qu’à un humanisme qui n’est pas encore de saison que Spartacus imagine un stratagème. D’après Salluste, « rien n’est sacré, rien ne paraît trop criminel à la fureur de ces barbares, à leur naturel d’esclaves, Spartacus ne pouvant empêcher ces excès malgré des prières réitérées… ». Le passage conservé s’arrête là et ce fragment a pu faire supposer que Spartacus, opposé aux massacres, a répandu le bruit de l’arrivée d’une armée romaine pour sauver Nola. Ce stratagème a largement contribué à faire de lui une sorte de saint laïc auprès des différents historiens et romanciers qui ont abordé le personnage, mais rien chez les auteurs antiques ne permet de confirmer cette thèse.
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La campagne de Varinius
L’armée prétorienne de Varinius
Même si elle a existé, la ruse de Spartacus est d’autant moins désintéressée que l’armée de Varinius Glaber arrive bel et bien de Rome. A l’annonce de cette nouvelle, les esclaves abandonnent la ville et s’enfuient rapidement. Comme Spartacus pouvait le redouter, Rome vient venger l’humiliation infligée à Claudius. Cette fois ce n’est plus un officier sans expérience que les sénateurs envoient, mais deux magistrats de haut rang, le préteur Varinius Glaber bientôt suivi de son collègue Publius Valerius – la préture constitue en effet la magistrature immédiatement placée au-dessous de celle de consul dans le cursus honorum . A présent, l’armée « prétorienne » envoyée de Rome compte des effectifs importants. Pourtant, ces hommes ont été levés rapidement pour exécuter ce que le Sénat considère encore comme une grosse opération de police. Appien témoigne bien de cette impréparation et de ce mépris des Romains. D’après lui les préteurs interviennent « non pas avec une armée romaine, mais avec un corps de troupes ramassé à la hâte, et comme en courant ; car les Romains ne pensaient pas que cela devait être une guerre en bonne et due forme. Ils croyaient que c’était quelque chose comme une attaque isolée, semblable à un acte de brigandage, et qu’il suffisait d’entrer en campagne contre eux ». Si l’on en croit ce passage, le Sénat a sans doute voulu agir vite pour tenter d’éteindre l’incendie avec les moyens disponibles. Pour Appien, il ne s’agirait pas à proprement parler de la légion romaine mais plutôt de cohortes de conscrits levés à la hâte et de contingents alliés appelés à la rescousse. Si les Romains minimisent le danger, il n’en va pas de même pour Spartacus. Il sait que son armée est, elle aussi, loin d’être homogène, qu’elle est encore plus mal entraînée que l’armée romaine qui approche, et qu’elle manque d’armes. Face au danger imminent, il souhaite abandonner les plaines de la Campanie et se replier plus au sud, vers les forêts de Lucanie, en mettant entre lui et les Romains les montagnes de l’Apennin. Spartacus doit alors faire face à la première scission au sein de son armée.
Les Gaulois commencent à faire bande à part
Preuve que la prééminence de Spartacus sur les autres meneurs est toute relative, Oenomaus, l’un des trois chefs issus du ludus de Batiatus, est d’un avis différent. D’après Salluste, lui et « trois mille fugitifs gaulois »
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