Spartacus
société où les valeurs sont renversées, comme lors des Saturnales. A l’occasion de ces fêtes, l’esclave prend la place du maître l’espace d’une journée et chaque esclave rêve de vivre dans la réalité ce simulacre sacré. Aussi, il se pourrait bien qu’à Thurium et à Consentia il y ait quelques anciens maîtres captifs que les esclaves d’hier s’amusent à contraindre aux tâches les plus ingrates. Davantage que les sympathiques utopies que nous associons à l’histoire de Spartacus, cette hypothèse serait plus conforme à la nature humaine car elle satisfait à la fois au plaisir et à la vengeance des esclaves d’hier. Certes, aucun auteur antique ne rapporte de tels faits pendant l’hiver 72, mais nous verrons que Spartacus est capable de mettre à mort ses prisonniers pour honorer les esclaves morts… et plaire aux vivants.
La légende plus forte que l’histoire
Nous n’avons aucun détail sur les lois édictées par Spartacus. Il n’a pas eu le temps de les faire graver dans le marbre… Pourtant, Appien en rapporte une seule qui a contribué à forger la légende révolutionnaire de notre personnage : « Il défendit aux marchands d’y rien apporter à vendre en matière d’or ou d’argent, et aux siens de rien acheter en ce genre. » Certains, comme Arthur Koestler, l’auteur de la biographie romancée la plus célèbre de Spartacus, tirent de ce passage historique une législation « spartakienne » assez étonnante. Au dossier du mythe de Spartacus cette loi reconstituée vaut d’être citée :
« 1. Nul n’aura plus à subvenir à ses propres besoins […] c’est la communauté qui dorénavant pourvoira aux besoins de chacun.
« 2. Nul n’asservira son prochain […]. Tous les vivres seront mis en commun dans la confrérie.
« 3. Chacun sera nourri dans de grands réfectoires communaux, ainsi qu’il sied aux membres d’une confrérie.
« 4. Chacun devra travailler selon ses forces et ses moyens et il n’y aura pas de différence dans la répartition des biens ; toutes les parts seront égales.
« 5. Nul ne pourra s’approprier plus que sa part au moyen de monnaie ou de billets [ sic ] […]. Quiconque sera surpris à en posséder sera retranché de la communauté et mis à mort. »
Ce texte étonnant semble directement issu de la Russie des premiers temps de la révolution bolchevique et pourrait inspirer le règlement intérieur d’un sovkhoze soviétique ou d’un kibboutz israélien. Cela n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que Koestler, Juif hongrois né en 1905, est un militant très actif de la cause sioniste dans les années 1920 avant de devenir membre du parti communiste allemand en 1931. Ces deux expériences l’on conduit à vivre dans un kibboutz comme simple ouvrier agricole avant de faire plusieurs séjours en URSS dans les années 1930. Journaliste de renom, il s’implique ensuite très activement dans la guerre civile espagnole, dans le camp républicain. Ainsi Koestler, qui joua un grand rôle dans la construction du mythe de Spartacus, fait-il plus œuvre d’essayiste politique que d’historien. De toute évidence, ce romancier de talent projette sur Thurium ses propres expériences collectivistes. A travers le maigre indice laissé par Appien, Koestler entrevoit une sorte de république utopique, abolitionniste et anticapitaliste où la richesse est partagée entre tous… sous peine de mort. Cette ville des esclaves libérés porte d’ailleurs un nom révélateur : la « Cité du soleil ». Après Koestler, Thurium revient souvent dans les romans qui ont contribué à forger la vulgate « spartakienne ». Une sorte de cité idéale, bâtie en bois par des bataillons d’esclaves toujours plus nombreux. Le soir, ces travailleurs méritants se retrouvent joyeusement dans de grands réfectoires pour goûter ensemble le pain de la liberté. Cette vision quelque peu marxiste-léniniste de l’histoire antique est sans doute assez éloignée de la réalité : Spartacus n’a jamais rejeté l’or et l’argent. Appien précise qu’en échange de leurs métaux précieux les esclaves « n’achetaient que du fer ou du bronze, qu’ils payaient cher, et ils faisaient bon accueil à ceux qui leur en apportaient. De sorte que, ayant des matières premières en abondance, ils s’équipèrent correctement ».
Loin de condamner l’usage de l’or, Spartacus utilise logiquement et autoritairement les
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