Spartacus

bien retirer de cette affaire. Ces marchands d’un genre particulier viennent d’Orient, et notamment de Cilicie. Ce sont des pirates. Même si leurs principaux repaires sont tapis au fond de criques profondes situées au nord de la Syrie, aucun rivage de la Méditerranée ne leur est inconnu. La période est particulièrement propice pour leurs affaires. Rome n’a pas encore réussi à réduire ce fléau qui coûte des centaines de millions de sesterces à son commerce. Occupés sur plusieurs fronts, les Romains ne peuvent concentrer leurs efforts contre l’hydre de la piraterie. Le proconsul Publius Servilius 67 est bien parvenu à brûler quelques-uns de leurs ports deux ans plus tôt, mais les pirates ont aussitôt trouvé de nouveaux abris et sont repartis pour d’autres courses. Florus témoigne de cette flambée de la piraterie dans les années 70 : « Pendant que le peuple romain était occupé dans les différentes parties du monde, les Ciliciens avaient envahi les mers. Supprimant tout trafic, brisant les traités qui unissent les hommes, ils avaient fermé les mers aussi bien que la tempête. Les troubles de l’Asie, agitée par la guerre de Mithridate, leur donnaient cette audace effrénée et criminelle. Profitant du désordre causé par une guerre étrangère [...] ils exerçaient impunément leurs brigandages […]. On envoya contre eux Publius Servilius, dont les lourds vaisseaux réussirent à disperser leurs légers et rapides brigantins […]. Cependant, ces nombreuses défaites ne domptèrent pas les pirates [...] s’élançant à nouveau sur l’eau, leur élément, ils poussèrent leur course encore plus loin qu’auparavant et cherchèrent par leur arrivée soudaine à jeter l’épouvante sur les côtes de la Sicile et même de la Campanie 68 . »
    Les activités de ces brigands des mers sont multiples. Partout, ils attaquent les bateaux de commerce pour s’emparer de leurs cargaisons et les revendre dans un port. Ils s’en prennent aussi aux transports de passagers pour capturer de riches voyageurs qu’ils restituent contre de fortes rançons. Mais ces pirates ne sont pas des révolutionnaires : leur activité la plus lucrative demeure la vente d’esclaves, un des plus vieux métiers du monde. En plus des marins et des passagers sans importance qu’ils capturent en mer, les pirates n’hésitent pas à procéder à des débarquements rapides destinés à ramener sur leurs navires de nouveaux captifs. Ces hommes et ces femmes passent en un instant du statut de libre à celui d’esclave. Quelques semaines plus tard, ces derniers sont proposés sur de grands marchés internationaux, comme celui du port franc de l’île de Délos. Là, ils alimentent, au même titre que la guerre, l’immense marché de la chair humaine. Les comédies antiques sont pleines de ces histoires de filles et de fils disparus, vendus et rachetés, qui retrouvent par miracle leurs proches. Dans la réalité, rares sont ceux qui échappent à ce sort terrible, à moins d’être issus d’une famille très riche. Les pirates qui croisent au large des côtes de Campanie et de Sicile sont forcément informés de la rébellion de Spartacus. Elle est bonne pour leurs affaires. Le monde ne peut se passer d’esclaves et il faudra bien remplacer tous ces fugitifs… Ces gangsters des mers jouent aussi leur carte sur l’échiquier géostratégique du moment. En 72, ils servent de lien entre leurs alliés objectifs que sont Sertorius en Espagne et Mithridate en Orient. Aucun des deux ne les menace mais les deux sont les adversaires de Rome, leur seule véritable ennemie. Une fois le contact établi, il est probable que Spartacus reçoive des informations précieuses, de la part des pirates, sur la situation de Rome. Il peut ainsi en savoir davantage sur les légions dispersées aux quatre coins de l’Empire avec les meilleurs généraux à leur tête. Il connaît à présent les difficultés que rencontre le Sénat pour ravitailler la capitale, un immense ventre affamé d’un million d’habitants. Les relations entre Spartacus et les pirates commencent probablement à se nouer durant cet hiver 72. A court terme, les proscrits ont des besoins et les pirates peuvent les satisfaire, le chef thrace paye si bien… Ces marchands particuliers sont en mesure de procurer des armes ou en tout cas du métal pour les fabriquer. Produit de leurs rapines, ils ont dans leurs cales de gros lingots de bronze en forme de