Spartacus
galette ou des barres de fer destinées à la forge. L’archéologie sous-marine permet de retrouver chaque année de nombreuses épaves de bateaux romains qui transportaient ce type de cargaison dans toute la Méditerranée. Avec ce fer et ce bronze les esclaves les plus habiles forgent des glaives et coulent des pointes de lance. Les relations sont profitables pour les deux partis. Cet épisode se situe en hiver, alors que la mer est normalement fermée jusqu’au printemps, mais les bateaux pirates s’affranchissent de cette contrainte que respectent les marins prudents. Les pirates peuvent aussi proposer tout ce que désirent des hommes qui n’ont parfois jamais rien possédé. Au premier rang de ces besoins, il faut sans doute placer les femmes. Elles sont certainement rares dans le camp de Spartacus : la traversée rapide des forêts de Lucanie et d’Apulie n’aurait guère été possible avec un grand nombre de femmes et d’enfants qui auraient ralenti la marche des fugitifs. De plus, dans les grands domaines où l’exploitation servile est intensive, les hommes sont toujours beaucoup plus nombreux que les femmes et les unions stables ne sont pas favorisées. Il faut donc imaginer que les esclaves révoltés, soumis pour la plupart à la plus stricte chasteté, donnent volontiers leur part de butin pour une nuit de plaisir tarifé. Si ces soldats n’ont pas droit à l’or et à l’argent, ils possèdent quelques pièces de bronze… c’est assez pour s’offrir une nuit d’amour. Les proxénètes ne sont pas regardants et l’argent n’a pas d’odeur. Une telle occasion doit être mise à profit : les pirates et les marchands grecs de la région se pressent pour proposer aux hommes de Spartacus cet autre type de services.
La rumeur enfle dans toute l’Italie
Les nouveaux volontaires qui rallient l’armée de Spartacus viennent maintenant de régions de plus en plus éloignées. Le retentissement de la révolte dépasse largement l’Italie du Sud. Comme un vent chaud venu du désert, la rumeur souffle par-dessus les monts et les rivières d’Italie. Les voyageurs et les marchands propagent la nouvelle d’étape en étape, dans chaque ville et dans chaque domaine. A travers les montagnes des Samnites, sur les bords de l’Adriatique chez les Picéniens, au fil des paisibles collines de l’Etrurie et jusqu’aux vastes plaines de la vallée du Pô, ces bruits incroyables pénètrent au plus profond des ergastules où dorment les esclaves ruraux. Les esclaves de tout le pays sont alors pris des mêmes hésitations que leurs semblables de Campanie lorsqu’ils avaient devant les yeux l’image de la liberté, sur les flancs du Vésuve : ils en discutent mais arrivent difficilement à s’accorder.
Contrairement à l’image politique habituellement véhiculée par le mythe marxiste de Spartacus, les esclaves ne constituent ni un peuple homogène ni une classe sociale soudée. Plutarque le dit bien à propos des méthodes du vieux Caton : « Il avait soin d’entretenir toujours parmi ses esclaves des querelles et des divisions ; il se méfiait de leur bonne intelligence, et en craignait les effets 69 . » Originaires de contrées différentes, arrivés par vagues successives dans le domaine, manquant de tout, vivant dans la crainte et l’humiliation, les esclaves se jalousent pour un rien. Pourtant, même s’ils sont profondément divisés, la rumeur qui arrive à leurs oreilles ne les laisse pas indifférents. Ils constatent surtout que les maîtres et les intendants deviennent plus nerveux. Eux aussi parlent de la révolte. Les servantes ont toujours des oreilles qui traînent. Le soir, elles entendent des bribes de conversations lorsque le maître accueille des amis pour la cena . Elles rapportent aussitôt ce qu’elles ont cru comprendre aux serviteurs des cuisines : les Romains ont été battus, et plusieurs fois, par ce gladiateur, Spartacus. Il a fondé un royaume pour les esclaves dans le Sud… Depuis les cuisines les informations passent à l’écurie, de l’écurie aux champs. A chaque relais le récit est enrichi de détails merveilleux. Spartacus est un gladiateur invincible. Il est accompagné d’une prophétesse qui lui a promis d’être victorieux… La rumeur constitue toujours le principal aliment des grandes révolutions. Sans la certitude que le roi voulait l’égorger, le peuple de Paris n’aurait pas pris la Bastille. Trois semaines plus tard, la
Weitere Kostenlose Bücher