Spartacus
boucliers romains extrêmement lourds, bardés de fer et destinés à résister à n’importe quel projectile. En fait, un bouclier antique doit trouver le juste équilibre entre résistance et légèreté. Ainsi, les boucliers des légionnaires sont-ils essentiellement réalisés en bois et en toile. Polybe en témoigne quand il dit que les boucliers romains « sont faits de deux planches collées ensemble et recouvertes extérieurement de grosse toile, puis de peau de veau 66 ». Cette description, confirmée par l’archéologie en Syrie et en Egypte, montre bien que les boucliers des hommes de Spartacus ne sont pas si différents de ceux de leurs adversaires. Le bouclier fait alors partie des équipements « consommables » et ne survit que rarement à une bataille ; même si le cuir non tanné pourrit assez rapidement, cela n’a que peu d’importance. Grâce à des équipements faciles à produire, légers et résistants, les soldats de Spartacus peuvent se protéger au corps à corps tout en conservant mobilité et agressivité. Une agressivité et une adresse que leur enseignent de manière intensive leurs entraîneurs issus des écoles de gladiateurs. Sur le soin donné au rééquipement de l’armée des esclaves, Florus donne un détail symbolique, dans lequel il faut davantage voir une tournure rhétorique qu’une réalité : « le fer de leurs chaînes, refondu, leur servit à forger des épées et des traits ». Belle image, mais on imagine mal les esclaves s’enfuir avec leurs fers aux pieds. Lorsqu’ils s’en sont débarrassés, ils ne les ont pas non plus emportés dans leur fuite… en souvenir. Cependant, le symbole est fort et contribuera à nourrir la légende. Plus concrètement, Florus est le seul à nous donner une très importante information de nature militaire : « Pour qu’il ne leur manquât rien de ce qui convenait à une armée régulière, ils se saisirent aussi des troupeaux de chevaux qu’ils rencontrèrent, se constituèrent une cavalerie. » Aucun chiffre ne nous est parvenu sur les effectifs de cette cavalerie, qui n’est pratiquement plus évoquée par la suite. Cependant, un petit nombre de cavaliers peuvent jouer un rôle fondamental pour éclairer l’armée et la prévenir des mouvements de l’adversaire. En bon tacticien, Spartacus, que les auteurs anciens font parfois combattre à cheval, dote son armée de cette composante précieuse. Néanmoins, il faut plus de temps pour former un bon cavalier qu’un fantassin et l’insuffisance de la cavalerie des esclaves constituera une faiblesse lourde de conséquences.
Spartacus le législateur
Dans le calme relatif de cette courte période, Spartacus montre sa valeur de chef et d’organisateur. Plutarque témoigne en une phrase de ses vertus : « Il jugeait sainement la situation et n’espérait pas surpasser la puissance romaine. » Ces qualités séduisent les historiens antiques, qui n’ont pourtant aucune raison d’admirer un esclave rebelle. Plus encore, les auteurs romains lui prêtent une vertu essentielle à leurs yeux, celle de législateur.
Quelles sont ces lois ? Nous n’en savons presque rien. Ce silence des sources a nourri toute une littérature politico-romanesque faisant de Spartacus un révolutionnaire génial et humaniste, tentant de créer un homme nouveau autour de la ville de Thurium. N’en déplaise aux tenants d’une histoire romantique, il est probable que le chef des esclaves n’ait même pas pensé à abolir l’esclavage… Au contraire, les historiens grecs et latins soulignent à plusieurs reprises que Spartacus fait des prisonniers et qu’il les garde enchaînés, quand il ne les tue pas. Pourquoi diable aurait-il supprimé la servitude alors que toutes les sociétés du pourtour méditerranéen pratiquent l’asservissement des vaincus depuis des millénaires ? Spartacus lui-même a peut-être possédé des esclaves. Son aptitude au commandement, le fait qu’il monte à cheval et qu’il édicte des lois semblent confirmer que ce Thrace, « plus grec que barbare », a reçu une instruction aristocratique. Issu d’un milieu aisé, il serait étonnant qu’au temps de sa liberté il n’ait pas été propriétaire d’au moins un esclave. Plutôt que d’imaginer une sorte de république idéale où les esclaves d’hier sont devenus les frères d’aujourd’hui, oubliant au passage leurs différences ethniques, il est plus vraisemblable d’envisager une
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