Spartacus
connaît pour y avoir probablement servi en tant qu’auxiliaire. Il a déjà prouvé, au grand étonnement de Varinius, qu’il pouvait insuffler cette discipline à ses esclaves révoltés. Il lui faut à présent continuer pendant les quelques mois de répit que lui accorde la mauvaise saison. La troupe hétéroclite réunie au sud de l’Italie compte de nombreux hommes libres déclassés et quelques brigands qui ont un passé d’anciens soldats de Rome. Spartacus peut mettre à contribution leurs compétences afin de transformer ces bandes disparates en une véritable armée. Les anciens gladiateurs, ceux de Capoue et des autres écoles qui n’ont pas manqué de les rejoindre, enseignent aussi aux bergers de Lucanie, aux bouviers d’Apulie et aux esclaves de Campanie l’art du combat au corps à corps. Malgré une idée reçue assez répandue, le légionnaire ne combat pas seulement en groupe. Il doit également constituer un redoutable adversaire au corps à corps. L’historien romain Valerius Maximus témoigne du fait que les entraîneurs de gladiateurs, les doctores, sont couramment mis à contribution pour enseigner l’art du combat individuel aux légionnaires. Comme le rapporte Valerius, « la théorie du maniement des armes fut enseignée aux soldats à partir du consulat de P. Rutilius, collègue de Cn. Mallius. Sans qu’aucun général avant lui n’en eût donné l’exemple, il fit venir des docteurs en gladiature du ludus de Cn. Aurelius Scaurus et adapta dans nos légions une méthode plus précise de parer et de porter les coups. Il combina ainsi le courage et l’art de manière à les fortifier l’un par l’autre, le premier ajoutant sa fougue au second et apprenant de lui à savoir se garder 65 ». Cette pratique date de 105 av. J.-C., à l’époque où Rome était menacée par les hordes des Cimbres et des Teutons ; trente ans plus tard, cet usage est bien établi et les gladiateurs de l’armée de Spartacus doivent tous s’employer à exercer les hommes aux rudiments de l’escrime. Ce fait, souvent négligé, explique en grande partie pourquoi l’armée des révoltés égale, voire surclasse, les légions de Rome lors de plusieurs rencontres. Pour mieux transformer cette masse d’hommes en armée, Spartacus s’attribue aussi les marques de prestige d’un officier de haut rang. Il se fait précéder, comme un préteur, par les faisceaux pris sur les dépouilles de Varinius. Florus rapporte ainsi que les esclaves « offrirent à leur chef les insignes et les faisceaux pris à nos préteurs. Spartacus ne les refusa point ». Les étendards abandonnés à l’ennemi ne sont donc pas détruits mais précieusement conservés par les esclaves, non seulement comme trophées, mais aussi pour les prendre comme étendards. Ce recyclage des symboles de Rome peut surprendre. On imagine mal l’armée soviétique mettre à la tête de ses régiments les emblèmes nazis pris à Stalingrad. Comment comprendre alors que les esclaves s’attribuent des bannières qu’ils devraient détester ? Sans doute faut-il y voir la force de Rome et la fascination qu’elle peut susciter chez ses propres ennemis, qui semblent parfois l’imiter pour mieux la combattre.
Pour les armes, l’armée de Spartacus ne manque pas non plus d’anciens esclaves capables de travailler le cuir et de forger le métal. Salluste témoigne avec admiration de l’ingéniosité des esclaves, habiles à faire feu de tout bois pour s’équiper d’armes convenables : « Parfaitement au fait des localités, et habitués à recouvrir d’osier des vases rustiques, grâce à cette industrie chacun d’eux put s’armer d’un bouclier de forme semblable aux parmae de la cavalerie. » Florus et Frontin complètent ce passage en précisant qu’ils « avaient des boucliers d’osier recouverts de peaux ». Ce passage fait allusion à l’usage antique de recouvrir d’osier certaines amphores à la manière de nos anciennes dames-jeannes. A l’époque de Spartacus, certains gladiateurs thraces utilisent déjà une parma hémisphérique de ce type. Les phalangistes macédoniens en étaient également pourvus. Même s’il paraît rustique, ce mode de fabrication ne doit pas nous surprendre. Certains auteurs modernes en ont conclu, avec dédain ou pitié, que les soldats de Spartacus sont équipés de « fonds de panier ». La réalité est différente. Grâce aux péplums, nous nous imaginons volontiers des
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