Spartacus
l’été est dramatique. Orose en dresse un constat saisissant : « Rome est épouvantée par une terreur à peine moindre que celle qui l’avait fait trembler à l’époque où Hannibal grondait à ses portes. » A elle seule, la comparaison montre avec force la gravité de la situation. Comme un siècle et demi plus tôt, les Romains doivent trouver les ressources nécessaires pour faire face à ce nouveau danger. La République, qui a tellement changé depuis cette époque peut-elle faire preuve de la même autorité et du même courage ? Tous les regards se tournent alors vers les sénateurs ; qui ne peuvent laisser impunie la double défaite des deux consuls par une armée d’esclaves fugitifs. Plutarque rapporte qu’« en apprenant ces événements le Sénat fut pris de colère contre les deux consuls et leur envoya l’ordre de déposer le commandement ». Cette mesure exceptionnelle et infamante pour les consuls témoigne bien de la gravité de la situation pour Rome. Si cette sanction a dû produire un grand effet au sein de l’aristocratie romaine, le problème reste entier. Comment arrêter Spartacus alors qu’il marche peut-être sur Rome ? Durant l’été 72, les réunions du sénat sont certainement houleuses et les avis discordants. Le spectre d’Hannibal semble revenu des enfers. Avec Spartacus, il est là, tout près, de l’autre côté des collines des Apennins.
Pourtant, depuis l’Orient, de bonnes nouvelles sont arrivées : le proconsul Lucius Licinius Lucullus a remporté une grande victoire contre le roi Mithridate VI. Au cours de cette campagne, Lucullus a coulé la flotte ennemie, détruit son armée et débloqué la ville de Cyzique. Malheureusement pour Rome, la guerre n’est pas terminée pour autant : Mithridate a échappé aux légionnaires. A l’heure où Spartacus menace Rome, Lucullus s’enfonce en Bithynie et en Galatie pour affronter le roi du Pont sur son sol et en finir avec cet adversaire acharné. Ainsi, bien loin de rentrer en Italie, l’une des meilleures armées de Rome s’en éloigne chaque jour un peu plus. Dans l’affolement qui règne dans la ville, certains seraient d’avis de faire revenir immédiatement Lucullus d’Orient pour voler au secours de la patrie menacée. D’autres font valoir qu’il est déjà trop loin. Le temps de l’avertir et qu’il rejoigne l’Italie, Spartacus sera déjà là – du moins si son intention est bien de marcher sur Rome. Et puis, qui osera interrompre une véritable guerre ( iustum bellum ) pour affronter des esclaves commandés par un gladiateur ? Rome est-elle tombée si bas qu’elle ne peut se défendre contre ses esclaves ? D’aucuns pensent alors à Pompée. Sertorius vient de mourir, assassiné par les siens 78 . La guerre continue contre ses partisans mais ce qui se passe en Italie est bien plus grave. Il faut rappeler le grand Pompée et ses troupes. Cependant, tous ne partagent pas cet avis, loin de là. Là aussi, des voix s’élèvent pour rappeler que la guerre en Espagne dure depuis des années et qu’il serait criminel de permettre aux partisans de Sertorius de refaire leurs forces au moment où Pompée les serre de près. Derrière les discours patriotiques, certains ne cachent pas leur crainte de voir revenir Pompée, avec ses légions fidèles, en sauveur de la patrie. Nul doute que Rome hériterait d’un nouveau dictateur… un nouveau Sylla avec son cortège de proscriptions, jusque dans les rangs du Sénat. Comme toujours dans ce genre de situation dramatique, l’avis des Assemblées oscille comme une chaloupe dans la tempête. Comme chaque été, Rome élit les consuls qui doivent entrer en charge au mois de janvier suivant. Ordinairement ces élections constituent le grand moment de la vie politique de la cité. Les patriciens issus des familles les plus prestigieuses et quelques hommes nouveaux issus de la plèbe briguent l’honneur suprême. Chaque candidat, appuyé par une clientèle inconditionnelle, cherche des appuis et vante ses mérites pour accéder au pouvoir consulaire. Or, cette année 72 est exceptionnelle. Dans les circonstances dramatiques du moment, les ambitions politiques s’évanouissent comme par enchantement. Ceux-là mêmes qui attendaient depuis longtemps de pouvoir revêtir la toge pourpre des consulaires se font tout à coup discrets et ne prétendent plus à rien. Appien témoigne bien de cette stupéfaction qui semble tétaniser les hommes
Weitere Kostenlose Bücher