Spartacus
généreux. Il prête à ses nombreux amis, sans intérêts, mais reste inflexible sur les remboursements. Bon orateur, il n’hésite jamais à défendre une cause. Ce dévouement finit par lui constituer une vaste clientèle. Sa simplicité envers les humbles et les obscurs fait même oublier à la plèbe son passé de partisan de Sylla. Sa bonhomie lui attire alors une certaine notoriété au sein même de la faction des populares . Si Pompée est plus admiré pour ses victoires, sa morgue et son orgueil l’éloignent du Forum, où il vient rarement en aide à ses clients. Crassus au contraire est populaire et parvient même à faire oublier sa rapacité. Contrarié par les succès militaires de Pompée, il s’applique donc à occuper le terrain politique à Rome en attendant son heure. Il a deux obsessions dans la vie. La première consiste à accumuler une immense fortune et il y parvient très tôt. La seconde, une fois la première satisfaite, vise à obtenir le pouvoir et surtout les honneurs y afférents. La révolte de Spartacus peut lui donner cette opportunité. Appien rend compte de cette volonté de saisir une occasion inespérée en devenant le recours de la République : « Crassus, citoyen également distingué par sa naissance et par sa fortune, s’offrit pour cette expédition. » Cette naissance et cette fortune constituent les deux arguments qui font de lui l’homme de la situation, à un moment où personne ne veut prendre le risque de se mesurer à ce Thrace invincible.
L’homme du juste milieu
A l’été 72, Crassus a quarante-quatre ans et compte bien tirer profit de son patient travail. Il a su inspirer confiance en rendant de multiples services. Crassus est rapace, mais de nombreux citoyens romains se sont sortis d’une mauvaise passe grâce à ses prêts sans intérêts. Quelques années plus tard, César lui-même profitera de ses largesses pour échapper à la meute de ses créanciers. Crassus inspire confiance. On se souvient que son père a été censeur de la République. Ce magistrat, désigné une fois tous les cinq ans, contrôle a posteriori les actes des hommes politiques depuis la précédente censure. Choisi parmi les Romains les plus irréprochables, il est là pour juger des bonnes mœurs des sénateurs et exclure du Sénat les citoyens indignes de cet honneur. De plus, le père de Crassus a été victime de Marius – un détail rassurant pour les sénateurs qui doivent leur carrière à Sylla. Dans l’autre camp, celui des populares , on sait que Crassus est hostile à Pompée, la gloire montante de la faction des optimates . Et Pompée est encore loin, au fin fond de l’Espagne. Qui se soucie de ses gloires passées ? Le peuple est oublieux et ce n’est ni Sertorius ni Mithridate, mais Spartacus qui marche sur Rome. Crassus est à Rome, lui. Il semble même en connaître chaque citoyen qu’il croise sur le Forum. Non seulement il répond aimablement à chacun, mais il parle bien en public, un talent très apprécié des Romains. Enfin, certains se souviennent de ses talents militaires. Volant au secours de Sylla, c’est lui qui a remporté la victoire à la bataille de la Porte Colline. Il a été bien mal remercié par le dictateur victorieux et cela lui apporte encore plus de sympathie de la part de certains Romains. Dans cette Rome encore frémissante des rancœurs de la guerre civile, Crassus apparaît comme l’homme du juste milieu, le seul qui puisse encore sauver la ville. De surcroît, il a revêtu la préture en 73 80 . Il peut donc immédiatement commander une armée en tant que propréteur. Les deux consuls de l’année 72 ayant été mis sur la touche du fait de leur incompétence, le Sénat ne semble pas hésiter longtemps. D’après Plutarque, « le Sénat […] désigna Crassus pour diriger la guerre ».
A présent que Crassus a pris en charge l’essentiel, d’autres candidats apparaissent, qui acceptent de revêtir la toge pourpre tandis que lui prend tous les risques contre les esclaves. Deux consuls sont donc finalement élus pour l’année 71, Publius Cornelius Lentulus Sura et Gnaeus Aufidius Orestes. De ces deux consuls, seul Cornelius Lentulus est bien connu. Issu d’une illustre famille qui a fourni de très nombreux magistrats, il est un parent du consul vaincu dans les Apennins quelques mois plus tôt. Lentulus Sura a déjà été préteur sous Sylla grâce à la protection du dictateur. Dans cette charge, il s’est
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