Staline
ses corps francs écrasent avant de décapiter le jeune
parti en assassinant ses deux dirigeants, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, le
15 janvier. Ministre de la Guerre du gouvernement britannique, Winston
Churchill appelle au même moment à une croisade internationale contre les
bolcheviks : « Leur objectif, déclare-t-il en juin 1919, c’est
de renverser et de détruire toutes les institutions, tous les gouvernements,
tous les États qui existent dans l’univers [313] . »
Il le rappellera lors de sa rencontre avec Staline le 14 octobre 1944 :
« Je me rappelle à quel point en 1919-1920 le monde entier tremblait
devant la révolution mondiale, même si moi, Churchill, j’étais bien certain qu’il
n’y aurait pas de révolution en Angleterre [314] . »
Il n’en était pas si certain que cela à cette époque, puisqu’il multipliait les
imprécations, mais son slogan : « Kill the Bolshie, kiss the Hun
(Tuer les Bolchos, embrasser les Boches) » ne trouvait guère d’écho dans
un pays las de la guerre. Ses collègues du gouvernement n’ont d’ailleurs, écrit
François Bedarida, qu’un souci : « Empêcher le communisme de s’implanter
en Grande-Bretagne [315] . »
Le même souci habite de nombreux gouvernants européens et pousse Clemenceau à
tenter de faire barrage à l’expansion du bolchevisme et, à cette fin, d’utiliser
la Pologne.
Pour préparer l’extension de la révolution, les bolcheviks
réunissent à Moscou, du 2 au 6 mars 1919, des représentants d’une
quinzaine de groupes communistes étrangers. Ils proclament la III e Internationale
ou Comintern. Staline fait partie des huit membres de la délégation russe aux
côtés de Lénine, Trotsky, Zinoviev, Boukharine. Il ne joue aucun rôle au cours
du congrès dont les débats se déroulent en allemand, ne présente aucun rapport,
ne prend jamais la parole, ne rédige aucun texte. Lénine, lui, rédige les
thèses de l’Internationale, Boukharine sa plate-forme, Trotsky son manifeste.
Zinoviev accède bientôt à sa présidence. Le manifeste affirme : « L’État
national, après avoir donné une vigoureuse impulsion au développement
capitaliste, est devenu trop étroit pour le développement des forces productives [316] . » Tel
sera, jusqu’en 1922, le fondement des analyses de l’Internationale. Cette idée
exclut la possibilité de construire une économie socialiste dans le cadre d’un
État national.
Le VIII e congrès du Parti s’ouvre dix jours
plus tard, le 18 mars 1919, au lendemain d’un événement qui s’avérera
décisif pour la carrière de Staline. Victime de l’épidémie de grippe espagnole
qui s’abat sur la planète depuis la fin de 1917 et fait en deux ans près de 25 millions
de victimes, Jacob Sverdlov est mort deux jours plus tôt. Il était à la fois le
secrétariat du Comité central à lui tout seul et l’adjoint gouvernemental de
Lénine. Sa disparition rend nécessaire la création d’un véritable secrétariat,
responsable de la gestion de l’appareil central du Parti.
Au congrès, la place accordée par Trotsky aux anciens
officiers tsaristes, qui constituent alors les trois quarts du commandement et
de l’administration de l’Armée rouge, suscite l’opposition d’anciens
sous-officiers bolcheviks de 1917 et des partisans d’une armée de milices
populaires et de groupes mobiles et autonomes de guérilleros. Les mécontents de
Tsaritsyne mènent la danse. Staline tire les ficelles en coulisses et laisse
les adversaires en découdre sans dire un mot pendant les séances publiques du
congrès. Il se refuse à livrer un combat perdu d’avance. Minoritaire, il se
rallie discrètement. Lénine ayant affirmé qu’il faut passer à l’armée régulière
avec des spécialistes militaires, Staline défend, au sein de la commission des
résolutions, cette opinion qu’il combat en sous-main. Au cours d’une séance à
huis clos, il souligne la nécessité d’une armée disciplinée et centralisée
capable d’attirer à elle ces « spécialistes » militaires qu’il
déteste. Il publiera en 1928 de très courts extraits du discours qu’il prononça
alors et dont il ne reproduira jamais le texte complet, sans doute encombré d’un
hommage conventionnel forcé à l’activité de Trotsky, alors absent du congrès.
Lors des élections au Comité central, sur la base de listes présentées par les
délégations, le président de séance constate que six
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