Staline
isolé dans sa critique de la politique
stalinienne d’autonomie purement formelle des nationalités. À la commission
consacrée à la « question nationale », réunie pour la dernière fois,
Trotsky présente, certes, deux amendements, mais en prenant soin de préciser :
« Je me suis mis d’accord avec Staline par écrit pendant la séance. »
Puis, il a beau faire une allusion menaçante à la lettre que Lénine lui a
communiquée le 5 mars pour mener le combat au congrès et se déclarer
décidé à remplir « l’engagement pris devant lui », son accord revendiqué
avec Staline ôte toute crédibilité à sa détermination apparente [447] . Staline le
suggère avec dédain en déclarant l’amendement de Trotsky juste dans son fond,
mais tout à fait insuffisant. Prenant le contre-pied de Lénine, mais sans le
nommer bien sûr, il martèle qu’il faut mener une « double lutte […] une
lutte sur deux fronts [448] »,
contre le nationalisme des minorités nationales d’une part, et contre le
nationalisme russe d’autre part. Puis il se moque de Trotsky en affirmant avec
condescendance que Frounzé a déposé un amendement plus précis et plus juste que
le sien.
Il affiche une extrême modestie. Jamais, dit-il, il n’a
prétendu au titre de maître ès questions nationales. Il a d’ailleurs, par deux
fois, refusé de rapporter sur ce sujet, mais les deux fois on lui en a donné l’ordre
à l’unanimité, et il ajoute avec une feinte humilité : « Je ne dirai
pas que je suis un ignorant dans ces affaires, j’ai quelques petites
connaissances sur cette question, mais j’en ai vraiment par-dessus la tête.
Pourquoi est-ce obligatoirement Staline qui doit présenter le rapport ? Où
est-ce écrit ? […] Mais on m’a donné un ordre. Et en individu soumis, j’ai
rapporté devant le congrès. » Cet étalage de modestie disciplinée lui
permet, sans que personne l’interrompe ou lui réplique, de ridiculiser Lénine,
qui « a oublié [il oubliait beaucoup de choses ces derniers temps…] […] la
résolution adoptée au Comité central d’octobre sur la constitution de l’Union. »
Il raille ensuite sa défense des droits des minorités nationales en rappelant
ironiquement sa prise de position en faveur de l’invasion de la Pologne en
1920 : « Alors, on ne peut pas appeler un Polonais un polak, mais on
peut tâter la Pologne à la baïonnette […] sonder la Pologne à la baïonnette.
Apparemment, du point de vue de l’autodétermination nationale, on peut faire
cela ? » Nul ne réagit à cette raillerie évidente : Lénine ose
parler d’autodétermination après avoir envoyé l’Armée rouge en Pologne et fait
des histoires pour l’usage de mots un peu méprisants. Il raille aussi l’allusion
de Trotsky au Testament de Lénine : « On a beaucoup parlé ici de
notes et d’articles de Vladimir Ilitch. Je ne voudrais pas citer mon maître, le
camarade Lénine, puisqu’il n’est pas ici, car je craindrais de me référer à lui
de façon inexacte et incorrecte [449] . »
Il sort du congrès en vainqueur. Mais, comme il ne s’est
jamais manifesté en public, la population le connaît encore peu, et dans les
cercles intellectuels, cette discrétion lui vaut une réputation de modéré.
Ainsi, le 20 mars 1923, le littérateur Guerchenzon, dans une lettre à
un ami, salue « la nomination comme triumvirs des très modérés Kamenev,
Rykov et Staline [450] ».
Aucun triumvirat n’a encore été constitué, mais le qualificatif est éloquent.
Absorbé par les problèmes du pouvoir, Staline ne se
préoccupe guère des questions économiques et sociales. Pourtant, une vive
tension règne dans les usines. En janvier 1923, le salaire ouvrier moyen
ne représente que 50 % du salaire moyen de 1913 et ne permet pas aux
ouvriers, physiquement épuisés et moralement las, de se maintenir en bonne
santé. Leurs conditions de logement sont en outre déplorables. Le tsarisme leur
a légué un misérable parc immobilier de taudis, de baraquements et de coins de
chambres, détérioré par la guerre civile. Et si les bolcheviks ont
réquisitionné les appartements des « bourgeois », transformés en
appartements communautaires, de nombreux travailleurs vivent dans des foyers
crasseux, des wagons désaffectés, des cabanes, ou des zemlianki (trous
recouverts de toile ou de branchages).
La direction du Parti veut aider la paysannerie à produire
et à vendre le plus
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