Staline
d’avril à 20 millions de
marks le 5 septembre, puis à 60 millions deux jours après. Petits
commerçants, petits épargnants et retraités sont ruinés du jour au lendemain et
sombrent dans une misère noire. La décomposition sociale galopante semble
ouvrir aux communistes allemands les portes du pouvoir.
CHAPITRE XIII
Le socialisme dans une seule rue ?
Malgré l’effacement de Lénine, Staline, encore incertain, a
besoin d’alliés. Le pouvoir est alors exercé par une troïka
Zinoviev-Kamenev-Staline, où ce dernier semble occuper la dernière place. Les
deux autres, insensibles à l’avertissement de Lénine et désireux d’abord d’isoler
Trotsky, croient pouvoir manœuvrer à leur guise l’apparatchik géorgien. Ils s’imaginent,
à tort, que le Secrétariat n’est qu’un organe administratif et que tout se joue
encore au Bureau politique. Lénine, Trotsky, Zinoviev entretenaient un rapport
vivant, chaleureux, tendu ou difficile avec les masses, fondé sur la parole. Le
temps des tribuns et des théoriciens s’achève. Les alliés de Staline ne l’ont
pas encore compris.
Malgré les apparences, l’alliance est inégale. Kamenev,
homme cultivé, passionné de littérature et d’art, est, bien que président du
soviet de Moscou, un homme seul, sans réseau ni partisans. Zinoviev s’est construit
un appareil à Petrograd et contrôle l’appareil du Comintern, mais ce pouvoir
est illusoire : à partir de 1924, c’est Moscou, tenant les cordons de la
bourse et forte du prestige de la seule révolution victorieuse, qui désigne les
dirigeants de l’Internationale et de ses partis.
Une semaine après le congrès, le 10 mai, le Bureau
politique exclut du Parti et livre au Guépéou le dirigeant communiste tatar
Sultan-Galiev, ancien secrétaire du Parti communiste musulman de Russie,
transformé en 1919, sur l’insistance de Staline, en section musulmane du parti
bolchevik. Cet homme, populaire dans les régions musulmanes, membre jusqu’en
1921 du commissariat aux Nationalités, longtemps protégé par Staline, avait, en
février 1919, convaincu l’influent dirigeant nationaliste bachkir Zaka
Validov de rompre avec Koltchak et de rejoindre l’Armée rouge avec ses 2 000 cavaliers.
Ce Validov, venu en 1920 à Moscou, séquestré sur ordre de Staline, avait pris
la fuite et, parti au Turkestan, y avait dirigé l’insurrection des Basmatchis
(nationalistes turkmènes) contre les bolcheviks. Dans ses souvenirs, il révèle
les intrigues que Staline a déployées pour en faire son complice, il parle de
son mépris moqueur pour les Tatars et les Caucasiens placés sous sa direction,
et son cynisme provocateur. Un jour que Validov évoquait les problèmes posés
par les réfugiés russes et polonais en Bachkirie, il ricane : « Vous
n’avez qu’à liquider ces gens-là et il n’y aura plus de problème. »
Validov dénonça, dans une lettre du 12 septembre 1920 à plusieurs
dirigeants bolcheviks, dont Trotsky, « ce dictateur masqué, hypocrite qui
joue avec les gens et avec leur volonté ». À l’époque, l’accusation parut
exagérée. Staline chercha en vain à faire revenir Validov à Moscou en le
flattant : « Vous êtes bien plus intelligent et bien plus énergique
que Sultan-Galiev […], vous êtes un homme hors du commun, fort, avec du
caractère et de la volonté, un homme d’action [452] . »
Sultan-Galiev est accusé d’avoir pris contact avec les
Basmatchis, d’avoir construit une organisation clandestine liée à des
nationalistes émigrés et étrangers, et donc convaincu de trahison. Son vrai
crime est de s’opposer à la russification brutale des régions musulmanes. À la
réunion de fraction communiste du X e congrès des soviets, en décembre 1922,
il a brutalement dénoncé la politique d’« autonomisation » de Staline
dans une Russie une et indivisible, et la division qu’il opère entre les
nationalités assez avancées pour avoir des représentants au Comité exécutif
central des soviets et les autres, qu’il juge trop arriérées pour en être
dignes. Sa critique reprend les protestations de nombreux habitants des régions
musulmanes qui voient souvent dans les bolcheviks russes présents sur leur
territoire les héritiers du colonialisme tsariste. Selon le nationaliste azéri
Rassoul-Zade, « la dictature du prolétariat à Tachkent n’est rien d’autre
que la dictature de Moscou au Turkestan, de même que la dictature
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