Staline
du
prolétariat à Bakou n’est pas la dictature de l’ouvrier turc mais celle de
Moscou [453] ».
Bien des communistes tatars, bachkirs, azéris, kazakhs, ouzbeks partagent la
critique de Rassoul-Zade. Staline réagit à cette menace en l’interprétant comme
une trahison ; ce sera le « sultan-galiévisme ».
Sultan-Galiev a commis l’imprudence d’adresser à des
camarades des lettres en code qui critiquaient la politique nationale de la
direction, accompagnées du conseil de les brûler. Il offre ainsi à Staline le
moyen de le liquider. Une séance exceptionnelle du Comité central et de la
commission de Contrôle examine son cas du 9 au 13 juin 1923. Staline
y joue le modéré et le modérateur : il se défend du reproche d’avoir « excessivement
défendu Sultan-Galiev ». « Oui, répond-il, je l’ai effectivement
défendu jusqu’à l’extrême possibilité, je considérais et je considère toujours
cela comme mon obligation. » Mais sous ce ton patelin et rassurant percent
déjà les griffes : il dénonce la « tromperie » de Sultan-Galiev,
l’insincérité et la diplomatie de plusieurs intervenants, ainsi que le
nationalisme… des minorités nationales opprimées, qui, selon lui, sont
systématiquement soutenues par l’étranger. Mais dans sa conclusion, il fait à
nouveau patte de velours. Il récuse ceux qui veulent juger, voire fusiller
Sultan-Galiev. « Il faut le libérer. Il a reconnu tous ses péchés et s’est
repenti. Il est chassé du Parti et n’y reviendra bien entendu pas. Pourquoi le
garder en prison ? » Des voix s’élèvent dans la salle contre cet
excès d’indulgence. Staline reste inébranlable, tout en égratignant Trotsky au
passage : « Sultan-Galiev est un élément étranger, mais je vous
assure qu’il n’est pas pire que certains spécialistes militaires qui occupent
chez nous des postes importants et de hautes responsabilités [454] . »
Qui ne serait rassuré par un Secrétaire général aussi
débonnaire, auteur pourtant de la machination qui a fait avouer à Sultan-Galiev
par écrit des crimes en partie imaginaires ? C’est le premier aspect
troublant de cette affaire. Staline a dû promettre à sa victime l’indulgence de
la réunion en échange de son autoflagellation qui le discrédite. La résolution
votée contre le Tatar condamne ses actes de « trahison », qualifie sa
politique « d’expression monstrueuse de la déviation nationaliste »
et constate qu’il s’est « mis en dehors du Parti ». Par un faux
équilibre, elle condamne le chauvinisme russe mais en rejette la responsabilité
sur les seuls Russes vivant sur place, accusés en même temps de ne pas « mener
un combat résolu contre la déviation nationaliste [455] » tatare et
musulmane, tâche difficile pour des militants accusés de chauvinisme russe !
Dans cette charge contre les militants, qui dédouane les dirigeants, on sent la
patte de Staline soucieux de faire valider sa politique par tous les présents,
dont Trotsky. Ravi d’avoir roulé ce dernier, qui doit condamner la « trahison »
de Sultan-Galiev, il cherche à le ridiculiser en acceptant de sa part un
amendement qui, dit-il, répète pourtant inutilement ce qui figure déjà dans sa
motion.
Zinoviev se mordra les doigts plus tard d’avoir laissé
Staline arrêter Sultan-Galiev. Il y a pris, dira-t-il, le goût du sang. Et
Staline, de son côté, peut se féliciter d’avoir poussé Trotsky à condamner
Sultan-Galiev, dont les nombreux partisans « déclarent qu’aujourd’hui leur
défenseur est Trotsky et que désormais ils soutiendront partout et toujours
Trotsky [456] ».
Ce dernier a beau évoquer la lettre que lui a envoyée Lénine pour l’inviter à s’occuper
de la question nationale, il ne saurait soutenir un homme qui « avoue »
avoir « trahi ». Peu après cette conférence, l’activité clandestine
de groupes d’opposants bolcheviks, Vérité ouvrière et Groupe ouvrier, pousse
Dzerjinski à exiger que les militants dénoncent au Guépéou toute expression d’opposition
dans le Parti. C’est la première manifestation de l’emprise policière sur le
Parti, qui permettra à Staline de le caporaliser, de l’épurer, puis de le
transformer de fond en comble.
La seconde partie de la conférence est consacrée à la
politique des nationalités. Staline, qui a fait dissoudre en avril le commissariat
aux Nationalités, présente un rapport introductif
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