Staline
qu’il n’est pas si facile de le rouler,
voilà pourquoi ils dirigent leurs coups contre Staline [558] . » Dans une
allusion ironique au Testament dont Lénine, dit-il, ne voulait pas la
publication, il se targue d’être « grossier à l’égard de ceux qui,
grossièrement et perfidement, détruisent et démolissent le Parti [559] ». Puis il
passe aux menaces : lors de la précédente réunion, il a rejeté l’exclusion
de Zinoviev et Trotsky du Comité central, par un excès de bonté désormais
révolu, expose-t-il : « Nous arrêtons et nous allons arrêter les
exclus du Parti, les désorganisateurs qui mènent un travail antisoviétique, s’ils
ne cessent pas de saper le Parti et le pouvoir soviétique [560] . » L’opposition
sera donc désormais sanctionnée par la prison. Trotsky et Zinoviev sont exclus
du Comité central. À la fin de la réunion, Kamenev interpelle le chef du
Guépéou, Menjinski : « Pensez-vous vraiment que Staline tout seul
pourra diriger l’État ? » Menjinski lui rétorque : « Pourquoi
l’avez-vous laissé acquérir une force aussi formidable ? Maintenant il est
trop tard [561] . »
L’Opposition se fait alors piéger par une provocation
politique. Staline propose en effet de réduire la journée de travail à 7 heures.
Si elle rechigne, l’Opposition sera montrée du doigt et accusée d’être hostile
aux ouvriers. Or, en effet, elle juge cette mesure démagogique et
irresponsable. Et le dit. Staline se déchaîne.
Le 7 novembre, dans le cortège des manifestations
anniversaires de la révolution, les opposants, malmenés par le Guépéou et la
milice, déploient leurs banderoles et crient leurs propres slogans : « À
bas le nepman ! À bas le koulak ! À bas le bureaucrate !
Appliquez le Testament de Lénine ! » Une semaine plus tard, Staline
fait exclure du Parti Trotsky, Zinoviev et un groupe d’opposants. La lutte
interne est en effet plus serrée qu’on ne le dit. Les historiens paraphrasent d’ordinaire
la version de Staline qui, au XV e congrès, attribue à l’Opposition
4 000 voix, soit 0,3 % des votants (encore qu’au cours d’un
échange oral il en ait concédé 10 000 !). Mais l’appareil manipulait
les votes. Dans la seule région de Moscou, l’Opposition recueillit 9 000 voix
et bénéficia d’un vif écho dans les Jeunesses. André Sverdlov, futur colonel de
la Sécurité d’État, dans sa lettre du 25 août 1953 à Malenkov,
suggérera que le rapport des forces n’était sans doute pas si déséquilibré que
cela. Il écrit en effet : « J’ai succombé à l’automne 1927 à la
démagogie trotskyste et, à l’école, j’ai pris plusieurs fois la parole pour
défendre les trotskystes. […] Puis j’ai pris conscience de la nocivité des
opinions trotskystes et je les ai condamnées […]. Mais j’ai osé, en 1930,
proférer des propos infâmes à l’adresse du camarade Staline [562] . » S’il lui
a fallu trois ans pour se guérir de ses opinions nocives, le milieu devait y
être peu hostile, sinon favorable.
À la veille du congrès, Staline envoie ses émissaires à
Canton, le Géorgien Lominadzé et l’Allemand Heinz Neumann, afin d’organiser une
insurrection destinée à confirmer sa volonté révolutionnaire. Les communistes
chinois sont ainsi invités à passer du compromis attentiste quand les masses
étaient en action à l’aventurisme débridé quand elles sont décimées… L’insurrection
est programmée pour le 13 décembre, la veille du congrès. Écrasée dans le
sang en quelques heures, elle figure au bilan de la direction. Staline a
franchi une étape : le massacre de Changhaï découlait d’une erreur d’appréciation,
celui de Canton a été programmé ; les ouvriers insurgés n’avaient en effet
aucune chance et ils sont morts pour les seuls besoins de la politique
intérieure de Staline.
Cet épisode sonne le glas des espoirs de l’Opposition. L’historien
russe Vladlen Sirotkine voit dans l’échec de la révolution en Chine « un
Rubicon : les adeptes de la révolution mondiale se trouvent dans une
impasse. C’est là la cause profonde de l’échec de Trotsky en Union soviétique [563] ». En deux
ans, un demi-million d’ouvriers et de paysans chinois ont été abattus, pendus,
décapités, éventrés, sous la direction de l’homme que Staline et Boukharine se
sont acharnés à présenter aux communistes chinois comme leur meilleur ami.
Raison de
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