Staline
Staline, bien au contraire, la
normalisation d’un parti qu’il doit préparer à un affrontement douteux.
Le 18 janvier, à la réunion du Bureau sibérien du
Parti, en présence des responsables de la collecte du blé, Staline affirme l’existence
purement imaginaire « d’exploitations koulaks disposant de surplus de blé
de 50 à 60 000 pouds [1 poud = 16,8 kg] par exploitation,
sans compter les réserves pour les semences, l’alimentation et la nourriture du
bétail [568] »,
et impose un plan de stockage de 60 millions de pouds de blé en Sibérie.
Comment y parvenir ? En menaçant les paysans de leur appliquer l’article 107.
Staline insiste : le paysan qui a des surplus et ne les écoule pas au prix
(très bas) fixé par l’État doit être sanctionné. Le directeur de la banque
paysanne régionale proteste : les paysans moyens et pauvres verront là un
retour à la période du communisme de guerre, marqué par les réquisitions
forcées, et seront persuadés qu’après les koulaks leur tour viendra aussi.
Staline répond à cette objection lors d’une nouvelle réunion, à huis clos, du
Bureau sibérien le 20 janvier. Il se déclare personnellement « peu au
fait concrètement » des perspectives d’évolution de l’agriculture, mais
répète : « Nous nous trouvons dans une impasse [569] », et
insiste : l’URSS ne peut rester un pays de petites propriétés paysannes,
car l’émiettement et la volonté des petits paysans de diversifier au maximum
leur production, pour leurs propres besoins personnels, interdit la
spécialisation nécessaire à un grand pays, l’utilisation optimale des machines
agricoles, des connaissances scientifiques et des engrais, dont seul le koulak
peut disposer. Bref, il faut à terme socialiser la propriété paysanne pour
tripler le rendement ; or, aucun pas n’a encore été fait dans ce sens.
Ainsi, alors que la campagne en cours vise le seul koulak, dans cette réunion à
huis clos, Staline menace le paysan moyen chez qui il faut « tuer la foi
dans la perspective d’une hausse des prix du blé. Comment peut-on la tuer ?
Par l’article 107 du Code pénal. Comment pense le paysan moyen ? Il
pense : "Ce serait bien si on me payait plus, mais l’affaire n’est
pas claire. On a emprisonné Petroucha. On a emprisonné Vanioucha, ils peuvent m’emprisonner
aussi. Bon, il vaut mieux que je vende mon blé" [570] ». Staline
compte ainsi sur la seule contrainte et, pour ce faire, il doit épurer et
remodeler l’appareil, réticent à s’engager dans la bataille.
Il descend ensuite vers le sud et, le 22 janvier,
réunit les cadres de la région à Barnaoul, la capitale de l’Altaï. Il leur
explique les deux raisons de la crise : la facile victoire remportée
contre l’opposition trotskyste a suscité une certaine euphorie dans l’appareil
du Parti, et les « boulons se sont desserrés », et surtout, les
cadres et les militants ont adopté « une position incorrecte, non
communiste, non marxiste [571] »
sur la collecte de blé ; ils ne sont pas à la hauteur de la juste
politique de la direction. Dans un télégramme adressé depuis la Sibérie au
Comité central à Moscou, il affirme avoir « mis tout le monde au pas comme
il faut [572] ».
Staline, au cours de ce voyage, ne réunit que les instances
ou les cadres du Parti. Pas une seule fois il ne se rend dans un village, dans
une ferme ou un kolkhoze de la région. Il ne rencontre pas un seul paysan, pas
un seul militant de base. Seul l’intéresse l’appareil du Parti ou de l’État, qu’il
secoue pour le préparer à l’affrontement. Son passage s’accompagne de
nombreuses révocations. Entre le 15 janvier et le 12 février, il
limoge ainsi en Sibérie, pour mollesse dans le stockage du blé, quatre membres
des tribunaux de district, cinq juges populaires, trois procureurs adjoints,
sept chefs de district de la milice, deux responsables du Guépéou, un
secrétaire de comité de district, quatorze secrétaires de comités d’arrondissement
du Parti, dix-huit présidents de comités exécutifs d’arrondissements, plus une
centaine de responsables d’organismes divers. Lors de son compte rendu de
mission devant les cadres du Parti de Moscou, au lendemain de son retour, le 13 février,
il affirme avoir « assaini plus ou moins » – sous-entendu :
le travail n’est pas encore achevé – les organismes de l’État et du Parti
sur place « en les
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