Staline
la moisson, l’État, en les calculant sur la base
de la récolte sur pied, accroît automatiquement les quantités qu’il prélève sur
la récolte réelle du kolkhoze et renforce ainsi sa pression sur des paysans
contraints, pour survivre, à réussir les moissons.
Les tensions brutales, engendrées par la collectivisation
forcée et le plan quinquennal mené au knout, provoquent des fissures dans un
appareil rongé par l’inquiétude. En octobre 1930, le président du Conseil
des commissaires du peuple de Russie, Syrtsov, membre suppléant du Bureau
politique, et Lominadzé, Premier secrétaire du Comité de Transcaucasie,
constituent un bloc d’opposition. Ils prévoient, dans un futur proche, un krach
économique et une « grande crise », marquée par des troubles paysans,
des grèves et des manifestations ouvrières. « Alors, selon Syrtsov,
Staline sombrera dans la même panique qu’au printemps ; il perdra la tête
et le Parti se trouvera sans direction. Quand se produira la crise économique,
quand la catastrophe approchera, les classes s’exprimeront et aucun appareil ne
tiendra le coup, or Staline repose sur l’appareil [627] . » Pour
Lominadzé aussi, lorsque le krach économique se produira, « Staline perdra
la tête et l’appareil cessera automatiquement d’agir [628] ».
Staline a infiltré dans leurs rangs un agent qui les
dénonce. Il limoge les deux dirigeants, mais étouffe l’histoire. « L’affaire
du bloc Syrtsov-Lominadzé, dit-il, n’est pas sérieuse », et il fait voter
par le Bureau politique du 20 novembre une résolution banalisant l’incident.
Mais le Guépéou a arrêté trois cadres du Parti de leur groupe, pour avoir
échangé entre eux des critiques. C’est une nouveauté. Le crime de fractionnisme
s’étend désormais à de simples conversations…
Syrtsov a mis le doigt sur le vrai crime de Staline aux yeux
de l’appareil, celui de réunir clandestinement un groupe informel clanique qui
décide de tout. Il déclare en effet devant la réunion commune du Bureau
politique et de la commission de Contrôle du 4 novembre : « Le
Bureau politique est une fiction. En fait, tout se décide dans le dos du Bureau
politique par un petit groupe qui se réunit au Kremlin, composé de Staline,
Molotov, Kaganovitch, Mikoian, Ordjonikidzé. » « Et, ajoute-t-il, une
situation où toute une série de décisions du Bureau politique sont prédécidées
par un groupe déterminé me paraît anormale. » Les éliminés, qui « ne
participent absolument pas à ce groupe dirigeant, sont donc des membres
mécaniques du Bureau politique [629] ».
Staline avait constamment dénoncé ses opposants comme des « fractionnistes » ;
il juge désagréable de se voir à son tour accuser de ce vil péché. Bien que l’accusation
ne soit portée que dans un cercle très étroit, il juge nécessaire de la réfuter
lors de la réunion du 4 novembre… constituée de ses seuls partisans. Mais
il continue à réunir son Bureau politique bis. Défenseur de l’appareil et de
ses intérêts, il ne veut pas en être le prisonnier. L’affaire contribue à la
détérioration des relations entre Staline et Ordjonikidzé qui, lors de la
réunion du 4 novembre, propose d’exclure Lominadzé, mais, en privé, tente
de défendre son ancien poulain devant Staline.
L’appareil doit pourtant resserrer les rangs autour de lui,
afin de faire face aux désordres dans les campagnes et au chaos de l’industrialisation
forcenée, dont les mésaventures de l’usine de tracteurs Staline donnent une
bien triste image. Une fois le communiqué de victoire publié sur le fameux
tracteur de l’Internationale, en juin, les ennuis pleuvent sur l’usine :
chaînes de montage qui s’arrêtent, pannes de machines, accidents du travail,
etc. En juin et juillet 1930, l’usine produit 10 machines, puis 35 d’août
à octobre. Ce sont les tracteurs les plus chers du monde. Au début de
septembre, Molotov convoque la direction de l’usine au Comité central et lui
demande sèchement combien de tracteurs elle produira en septembre : 402
sont prévus, répond le directeur. L’usine en produira… 12. On révoque la
direction. Les chaînes redémarrent enfin en novembre, et l’usine bientôt fait
ses comptes : en 6 mois et demi, elle aura fabriqué 1 002 tracteurs…
cahotants.
Cet énorme gâchis caractérise la planification stalinienne,
où les besoins politiques de la propagande
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