Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Staline

Staline

Titel: Staline Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie,Jean-Jacques
Vom Netzwerk:
cette dernière réplique, où se
reflétait le gouffre séparant son destin programmé de celui qu’il s’était
forgé. Selon Svetlana, « le mépris de sa mère pour sa réussite immédiate,
pour sa gloire sur terre, pour toutes ces vanités, le ravissait [791]  ». Le récit
lyrique de cette visite efface le décor : la mère du Guide vivait dans une
chambre obscure et basse du palais de la ville, meublée d’un lit de fer avec
une paillasse, d’un paravent, d’une table, de quelques chaises. Lorsqu’en 1930
elle reçut le journaliste américain Knickerbocker, elle s’excusa de n’avoir ni
thé ni café à lui offrir. C’était un signe non de dénuement, mais de solitude.
Les apparatchiks n’avaient à gagner que des ennuis en s’intéressant à la mère
du Secrétaire général. Au cours des années précédentes, Staline était venu
passer de longues semaines de vacances à Sotchi ou à Tskhaltoubo, à 300 ou 400 kilomètres
de Tiflis, sans trouver un moment pour voir sa mère qui s’en était discrètement
plainte en 1930 à Knickerbocker. « Il vient souvent en Géorgie, mais il va
rarement plus loin que Sotchi sur la côte. Je crois qu’il y est maintenant.
Sosso est venu me voir une fois en 1921 et une fois il y a trois ans [792] . » Ses
visites à sa mère sont rares et ses lettres sèches, car il n’a rien à lui dire.
Un abîme sépare l’univers maternel du sien. Sa fille Svetlana, le seul être qu’il
ait aimé après la mort de Catherine Svanidzé, le lui reproche : « Il
était aussi mauvais fils que mauvais père et mauvais époux, aussi peu prévenant
dans un cas que dans l’autre. Tout son être était consacré à la lutte
politique, et les étrangers avaient pour lui plus d’importance que ses intimes [793]  », s’ils
servaient ses buts.
    La visite d’octobre 1935 ne procède pas d’un élan
filial. Liée aux préparatifs de la Grande Terreur, elle remplit un objectif
précis. Le reportage de la Pravda du 20 octobre présente le
Secrétaire général sous le masque débonnaire d’un bon fils qui suscite l’attendrissement
de sa vieille mère, et cela le sert évidemment. Il multipliera d’ailleurs les
évocations sentimentales au fur et à mesure que la Terreur s’amplifiera. En
1937, il se fera ainsi photographier en compagnie de petits enfants sur l’aérodrome
de Touchino.
    À la fiction d’un Kirov « fidèle second » abattu
(à répétition) par les « ennemis du peuple »,
trotskystes-zinoviévistes et droitiers, Staline ajoute celle de l’ouvrier
modèle qui pulvérise les records de production comme un champion sportif. Dans
la nuit du 30 au 31 août 1935, le mineur Stakhanov extrait 102 tonnes
de charbon en un peu moins de 6 heures, alors que la norme est de 7 tonnes.
    D’autres mineurs font mieux dans les jours qui suivent. Le 13 septembre,
un certain Artioukhov extrait 311 tonnes. Quelques jours après, Stakhanov
met tout le monde au pas en extrayant 324 tonnes. Il se promènera ensuite
de conférence en conférence et adhérera au Parti, avant de sombrer, oublié de
tous, dans l’alcool. On n’apprendra que cinquante ans plus tard qu’il avait été
secrètement assisté de deux aides. Le mouvement stakhanoviste, qui pousse
chacun à se dépasser, élève les normes de production et récompense ses
champions de primes et privilèges divers, est né. Quiconque rechignera à cette
émulation constante (au premier chef, les ingénieurs et techniciens) sera
dénoncé comme saboteur.
    Il manque le pendant intellectuel au personnage de l’ouvrier
exemplaire. Staline le trouve ou plutôt le fabrique en novembre 1935. Le
24 de ce mois, l’ancienne compagne de Maiakovski, Lili Brik, sur le conseil du vice-président
du Guépéou, Agranov, se plaint dans une lettre à Staline du mépris dans lequel
est tenu l’œuvre de Maiakovski, mort cinq ans plus tôt. Staline réagit aussitôt
à cette demande attendue en transmettant la lettre de Lili Brik à Nicolas
Iejov, accompagnée d’un commentaire impérieux : « Maiakovski a été et
reste le meilleur, le plus talentueux poète de notre époque soviétique. L’indifférence
à l’égard de son souvenir est un crime [794] . »
Qui dit crime dit NKVD, d’où l’appel à Iejov. Staline l’invite à mobiliser
Mekhlis, rédacteur en chef de la Pravda  : « Si mon aide est
nécessaire, je suis prêt », ajoute-t-il. Confier à un policier inculte et
à demi illettré la

Weitere Kostenlose Bücher