Staline
nombreux dirigeants et militants de pays aux régimes fascistes se sont
réfugiés à Moscou. Il envisage alors de monter deux grands procès publics. D’abord,
un procès de dirigeants du Comintern, accusés d’avoir monté un réseau
trotskyste impliquant, au fil des divers scénarios envisagés, ses dirigeants et
ceux de nombreux partis communistes. Y seront cités le Bulgare Georgi Dimitrov,
son propre secrétaire, chargé bien sûr de « diriger le Centre d’espionnage
dans le Comintern », les Chinois Mao Tsé-toung, Chou En-lai, Liou
Shao-chi, les Allemands Walter Ulbricht et Wilhelm Pieck, l’Italien Palmiro
Togliatti, le Français Jacques Duclos, le Tchèque Antonin Zapotocky, l’Anglais
Harry Pollitt, l’Espagnol José Diaz, le Suédois Sven Linderot, etc. Pour
préparer l’opération, une résolution du Comité exécutif du Comintern exige, dès
le 31 mai 1937, une épuration sévère dans les PC des pays capitalistes,
afin d’y débusquer les « agents trotskystes », à savoir des militants
« qui donnent à leur désaccord radical avec la politique du Parti et de l’Internationale
communiste la forme de réserves de toute espèce à l’égard des positions
tactiques du Parti [907] ».
La préparation du procès commence réellement en juillet 1937, avec l’arrestation
de Piatnitski. Staline invente aussi un réseau trotskyste dans la diplomatie,
destiné à impliquer le commissaire aux Affaires étrangères, Litvinov, et les
principaux plénipotentiaires soviétiques.
Staline renoncera finalement à ces deux projets. La
construction d’un gigantesque complot international, englobant des dirigeants
de dizaines de pays étrangers et des plénipotentiaires des quatre coins du
monde, qu’il n’est pas sûr de pouvoir tous attirer à Moscou sans problème, est
une tâche au-dessus des forces de Iejov et de ses services. Du coup, l’édifice
monumental risque de s’effondrer. Staline fait néanmoins abattre Piatnitski et
son adjoint Knorine et liquider plusieurs plénipotentiaires et les deux tiers
du personnel des Affaires étrangères, sans procès. Échappent à la purge
Litvinov lui-même, simplement démis de ses fonctions en juin 1939, et l’ambassadrice
Alexandra Kollontai, par caprice du Guide, à moins qu’il n’ait décidé de la
tenir en réserve pour une autre mise en scène.
Le faux complot avorté laisse de lourdes traces. Les
arrestations massives et systématiques bafouent les intérêts élémentaires de l’État.
Des services entiers sont démantelés et paralysés pendant des mois, et non des
moindres. Ainsi le 3 janvier 1939, Litvinov, par une note, attire l’attention
de Staline sur les trous béants de la représentation diplomatique de l’URSS.
Alors que cette dernière n’est reconnue que par une trentaine de pays, les
postes de plénipotentiaires sont vacants parfois depuis plus d’un an dans neuf
capitales, parmi lesquelles Washington, Tokyo, Varsovie, Bucarest, Barcelone,
Kovno, Copenhague, Budapest et Sofia. De simples chargés d’affaires y gèrent
les affaires courantes. En cette veille de guerre mondiale, cette liste de
postes vacants laisse rêveur [908] .
Mais elle ne représente qu’un aspect de la destruction du corps diplomatique
soviétique : la purge a liquidé 48 plénipotentiaires, 30 chefs
de sections du commissariat aux Affaires étrangères, 28 consuls, 113 responsables
de services du commissariat, pour 30 ambassades !
Si le procès du Comintern a capoté, Staline s’acharne en
revanche sur le Parti communiste polonais. Le 11 novembre 1937, il
déclare au Comintern : « Tous les trotskystes doivent être
pourchassés, abattus, exterminés [909] »,
puis colle cette étiquette sur le dos des dirigeants polonais. En décembre 1937,
il affirme : « La dissolution du PC polonais a deux ans de retard [910] . » Elle s’effectue
par étapes : arrestation de ses membres réfugiés en URSS, invitation de
ses cadres de Pologne à venir en URSS, rafle des communistes polonais à l’étranger
(ils seront déportés ou fusillés), exécution de la quasi-totalité de sa
direction, sauf de ses membres emprisonnés en Pologne, comme Gomulka. Cette
entreprise se conjugue avec la déportation des Polonais vivant en URSS et la
dissolution des deux régions autonomes polonaises, créées au début des années 1920. L’Internationale communiste de février 1938, dans un article
intitulé « Les provocateurs à
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