Staline
ménagement s’ils grognent ou
revendiquent ou lorsque les carnets de commandes se vident. Ces ouvriers sont
surtout concentrés dans les usines Rothschild (6 000), Mantachev (4 000),
Khatcharouriants (1 200). Les 2 000 restants sont éparpillés dans une
dizaine d’usines plus petites, dont celle du Grec Sideridis. Serge Alliluiev,
qui y travailla en 1892-1893, trouve jolie cette ville adossée à la montagne,
ornée de palmiers et ouverte sur la mer ; les trois anciens villages qui
en forment les faubourgs, Bartkhona, Gorodok et Tchaoba (le Marais), sont moins
attrayants : les marécages voisins répandent les miasmes et les fièvres du
paludisme. Le terminal d’un oléoduc partant de Bakou y a été construit en 1900.
Partout règnent la trique et les coups. Surveillants, chefs d’atelier,
contremaîtres frappent les ouvriers, et même les enfants, pour qu’ils mettent
plus de cœur à l’ouvrage.
À Batoum vivote le premier cercle social-démocrate, fondé en
octobre 1901 par sept ouvriers et un intellectuel. Koba y arrive à la fin
de novembre 1901, et se trouve bientôt à la tête du comité. Hébergé chez
un travailleur de Mantachev, il y convoque, courant décembre, une réunion de
délégués sociaux-démocrates de plusieurs usines et leur reproche leur mollesse :
« Les ouvriers de Tiflis m’ont envoyé vers vous […]. Ils sont sortis de
leur sommeil et se préparent à lutter contre leurs ennemis. Les ouvriers de
Batoum sont encore plongés dans un sommeil paisible. Je suis venu vous exhorter
à suivre l’exemple des ouvriers de Tiflis [91] . »
Réunissant les militants de la ville pour élire un comité de trois ouvriers et
trois intellectuels, en un réveillon de Jour de l’an militant, il leur assène
un discours prophétique : « L’aube du grand jour commence à poindre.
Bientôt le soleil de lèvera et brillera pour nous. Croyez-en mes paroles [92] . »
Pour échapper à la curiosité policière, il déménage dans le
faubourg de Gorodok, puis dans le quartier marécageux de Tchaoba, chez l’ouvrier
musulman Khachime, où il monte une petite imprimerie clandestine. Des femmes
voilées y viennent régulièrement et repartent vers la ville avec des paniers de
légumes au bras. Parfois c’est Khachime lui-même qui assure le transport. Les
voisins, pauvres mais futés, voient en lui un faux-monnayeur et l’interpellent
un jour : « Tu travailles toutes les nuits, tu imprimes à tout va et
on ne voit rien venir. Quand est-ce que tu mettras enfin ton argent en
circulation [93] ? »
Koba dément : il imprime des tracts, pas des billets de banque. Les
paysans restent sceptiques mais se taisent.
Koba travaille moins qu’ils ne le croient. Le comité de
Batoum est d’ailleurs si peu actif qu’en avril 1903, lors de la
préparation du congrès du Parti ouvrier social-démocrate russe, la rédaction de L’Iskra (en fait Lénine) s’oppose à sa présence au congrès en affirmant :
« On n’a jamais entendu parler de ce comité [94] . » Un
document de police daté par erreur de janvier 1903 (au lieu de 1902)
affirme : « À la tête de l’organisation de Batoum se trouve Joseph
Djougachvili […] ; son despotisme a fini par émouvoir beaucoup de membres,
et une scission s’est produite dans l’organisation [95] . »
Batoum sort bientôt de son apathie. La réduction des carnets
de commandes frappe les entreprises de la ville. Fin janvier 1902, la
direction de Mantachev licencie une centaine d’ouvriers. La grève est immédiate
et, le 31, l’usine est paralysée. La police arrête une centaine de grévistes,
licenciés à leur tour, mais la direction, craignant l’extension du mouvement, capitule
et la victoire qui en résulte est totale : les ouvriers licenciés et les
grévistes arrêtés sont réintégrés, les jours de grève payés.
La direction de la raffinerie Rothschild, malgré cet
avertissement, licencie, le 26 février 1902, près de la moitié de ses
900 ouvriers, des paysans recrutés quelques mois plus tôt dans la campagne
voisine. Le 1 er mars, toute l’usine débraie. Le gouverneur de
la province ordonne aux grévistes de reprendre immédiatement le travail, menace
les récalcitrants de les renvoyer dans leur village et fait venir la troupe.
Les grévistes s’entêtent. Le gouverneur en jette 32 en prison. Leurs camarades
réagissent. Le 8 mars, les cosaques dispersent à coups de fouet un meeting
de protestation en pleine
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