Staline
deux principales « zones de résidence » où les juifs ont le
droit de vivre, l’Ukraine et la Biélorussie, à Kichinev, alors rattachée à l’Ukraine,
en avril 1903, puis à Gomel en août, sous le patronage du ministre de l’Intérieur
Plehve. Les ministres du tsar partagent son antisémitisme forcené. En août 1903,
Plehve et Witte, alors ministre des Finances, reçoivent le prophète du
sionisme, Theodor Herzl. Witte lui déclare avec un rire épais : « Je
disais souvent au défunt tsar Alexandre III : "Votre Majesté, s’il
était possible de noyer 6 ou 7 millions de juifs dans la mer Noire, j’y
serais favorable. Mais comme ce n’est pas possible, il faut leur donner une
chance de vivre." J’ai toujours la même opinion [105] . » Au
Caucase, poudrière de nationalités, les autorités tentent d’asseoir un pouvoir
mal accepté par les populations locales en dressant les uns contre les autres
Tatars, Azéris, Perses, Géorgiens, Arméniens. Ces derniers, contrôlant le
commerce local, sont la première cible des pogromes encouragés par le pouvoir.
La guerre avec le Japon apaise un bref instant puis décuple
toutes les tensions sociales et politiques. Dans son expansion vers l’est,
visant à participer au dépeçage de la Chine par les grandes puissances
européennes, la Russie rencontre en effet l’empire du Soleil-Levant, engagé
depuis trente ans dans une vaste entreprise de modernisation économique et d’expansion.
En mai 1896, Saint-Pétersbourg obtient la construction du « chemin de
fer de l’Est chinois », qui doit relier la ville russe de Tchita au port
russe de Vladivostok en traversant le saillant que forme entre les deux la Mandchourie.
En juin 1900, l’armée russe occupe la Mandchourie au nord de la Chine. Des
cercles d’affairistes et de généraux envisagent d’étendre le protectorat russe
sur la Corée que Tokyo considère comme sa chasse gardée. Londres, pour aider le
Japon à faire barrage aux ambitions russes, signe avec lui, en janvier 1902,
un traité d’alliance défensive. Les Japonais proposent au tsar de se partager
la région à l’amiable : aux Russes la Mandchourie, au Japon la Corée. Mais
la camarilla militaire pétersbourgeoise méprise ces « macaques » et
Nicolas II rejette leur proposition. Plehve ajoute : « Pour
arrêter la révolution, il nous faut une petite guerre victorieuse. » Au
matin du 8 février 1904, la flotte japonaise bombarde par surprise la
flotte russe du Pacifique paisiblement ancrée à Port-Arthur et donne une
coloration défensive à la guerre souhaitée. La monarchie organise des
manifestations patriotiques enflammées, qui rassemblent surtout ivrognes et
prostituées, clientèle habituelle des commissariats, flanqués d’aubergistes et
d’agents de police qui, tous ensemble, braillent à tue-tête : « Dieu
sauve le tsar ! » D’honorables universitaires saluent cette nouvelle
croisade contre « les insolents Mongols » et la défense par la Russie
de la civilisation européenne et chrétienne contre « le péril jaune ».
Des affiches montrent de petits macaques aux yeux bridés s’enfuyant devant le
blond géant russe. Cette éphémère effervescence patriotique ne touche pas, au
Caucase, les populations locales, indifférentes à cette guerre lointaine.
L’infanterie japonaise franchit le fleuve Ya-Lou qui sépare
la Corée de la Mandchourie et enfonce l’infanterie russe. L’incurie et la
corruption du commandement sont à l’origine des échecs militaires, qui
exaspèrent la population. L’amiral Alexeiev, à la tête de l’armée, doit sa
promotion à un service intime rendu à l’impérial grand-duc Alexis : ce
dernier ayant provoqué, un an auparavant, une bagarre d’ivrognes dans un bordel
de Marseille, l’amiral avait déclaré à la police française que l’homonymie
avait fait confondre Alexis avec Alexeiev et s’était désigné comme coupable. Ce
sacrifice suffit à sa promotion. Nourrissant, comme ses adjoints, un profond
mépris pour le moujik, il envoie des régiments charger à la baïonnette les
positions de l’artillerie japonaise qui les fauche par milliers. Staline
recourra à la même tactique quarante ans plus tard.
Alors que le Transsibérien est à voie unique sur une partie
du trajet, chaque chef de corps d’armée dispose d’un train spécial comprenant wagons-lits,
wagon-restaurant, wagons-salons, encombrés d’ordonnances et d’invités
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