Staline
blanc, servira bientôt à l’accuser
de bonapartisme. Le soir, Staline organise au Kremlin un nouveau banquet pour
les officiers supérieurs. Après les toasts rituels, il rappelle qu’il se trouve
dans sa soixante-sixième année et qu’il ne pourra donc encore faire face
longtemps à ses lourdes responsabilités. « Je peux encore travailler deux
ou trois ans et après je devrai m’en aller ! » Après un instant de
silence stupéfait, des cris s’élèvent : non, il vivra et dirigera encore
longtemps le pays ! Pourtant, ajoute l’amiral Kouznetsov, qui rapporte cet
incident, « son départ était extrêmement nécessaire [1291] ». Mais
Staline attendra octobre 1952 pour se débarrasser de la seule charge de
ministre de la Défense…
Sa déclaration est une provocation, à laquelle il se livrera
à plusieurs reprises, mais la réalité est qu’il vieillit vite et qu’il le sent.
À de Gaulle, l’invitant à venir à Paris, il répond : « Comment le
faire ? Je suis vieux. Je mourrai bientôt [1292] . » Jeu ?
Coquetterie ? Peur panique de prendre l’avion ? Joukov, qui bavarde
avec lui quelques heures à Kountsevo le 8 mars 1945, le trouve très
vieilli : « Dans toute son apparence extérieure, dans ses mouvements,
dans sa conversation, on sentait une grande lassitude physique. » Pendant
les quatre années de la guerre, Staline s’était surmené. Le choc de l’invasion
et de la déroute initiale, la peur panique des premières semaines, l’épuisante
tension nerveuse, un état d’irritation à peu près permanent, l’insuffisance
chronique de sommeil, les nuits blanches ont délabré son système nerveux et
détraqué sa santé. Il semble gagné par une grande lassitude. Pourtant, Djilas,
qui le voit quelques mois plus tard, le trouve « encore vif d’esprit,
plein de vie et possédant un sens aigu de l’humour. Mais c’était pendant la
guerre et il semblait qu’il eût alors accompli son ultime effort et atteint sa
limite [1293] ».
Il a encore la réplique rapide et précise, l’humour rude et mordant, mais l’hypertension
et l’angine de poitrine, qui le rongent des mois durant, l’épuisent.
Les exigences de la politique internationale le retiennent
un temps encore à l’écart des problèmes intérieurs. Les Trois Grands doivent se
retrouver à Potsdam à la mi-juillet pour parachever les travaux de Yalta. Par
peur, il refuse de s’y rendre en avion. Son voyage en train est entouré de
précautions de sécurité inouïes, bien que Potsdam, dans la banlieue de Berlin,
soit située en zone d’occupation soviétique. La délégation soviétique dispose
de cinquante-six villas (plus six pour les gardes) autour de l’ancien hôtel
particulier du général Ludendorff, où est logé Staline et d’où il fait retirer
les tapis et le mobilier superflu. Sept régiments du NKVD et 1 500 hommes
de ses troupes spéciales, au total près de 5 000 hommes, assurent la
protection de la délégation. Pour son entretien, Beria écrit à Staline, le 2 juillet :
« Des réserves de gibier, de volailles, de produits comestibles, d’épicerie
et de boissons ont été prévues ; trois exploitations supplémentaires à
sept kilomètres de Potsdam avec du bétail et des volailles fermières, des
dépôts de légumes ont été installées. Deux boulangeries fonctionnent. Deux
aérodromes sont prêts [1294] . »
Dans l’Allemagne affamée, tout près d’une Union Soviétique tout aussi affamée,
la délégation soviétique a construit un îlot d’abondance « socialiste ».
Le train blindé spécial qui emporte Staline et son entourage
doit parcourir 1 923 kilomètres sur un territoire entièrement
contrôlé par l’Armée rouge. Malgré cela, la sécurité des voies est assurée par
18 515 hommes du NKVD. Selon Beria, « de six à quinze hommes
assurent la protection de chaque kilomètre de voie », soit en moyenne un
homme tous les cent mètres. Ce luxe de précautions inutiles est plus coûteux
encore que la débauche de victuailles…
La conférence réunit, du 17 juillet au 2 août,
Staline, Truman, le successeur de Roosevelt, Churchill, puis, après sa défaite
aux élections, le nouveau Premier ministre anglais, le travailliste Attlee. En
1905, Staline regrettait que Lénine n’arrive pas en retard aux réunions pour se
faire remarquer ; il comble cette faiblesse en arrivant systématiquement
en retard aux séances, où tout le monde
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