Staline
yougoslaves
ne sont pas atteints de modestie et continuent d’être étourdis par leurs
résultats, pas si grands, après tout […] avec leurs vantardises exagérées ils
ont cassé les oreilles à tout le monde [1391] . »
Ce rappel à l’ordre, méprisant et lourdement ironique, traduit la certitude qui
habite Staline : les dirigeants yougoslaves capituleront aujourd’hui ou
dans quelques semaines. Devant leur résistance, Staline et Molotov leur
envoient deux nouvelles lettres, les 4 et 22 mai, dont les copies, comme
celles de la précédente, sont envoyées à tous les partis du Cominform. Elles
masquent toujours les motifs réels du conflit (la fédération balkanique, l’Albanie,
l’aide aux partisans grecs et l’accès libre des conseillers soviétiques aux
informations économiques et financières) derrière des accusations idéologiques,
qui ne sont qu’un paravent.
Tito fait arrêter les deux agents de Staline à la direction
de son parti, Jouyovitch et Hebrang. Staline feint de croire qu’il veut les
abattre, comme il l’aurait fait à sa place. Le 9 juin, au nom du Comité
central soviétique (de Staline, en fait), Molotov accuse le Bureau politique
yougoslave de « vouloir liquider physiquement » les deux hommes,
auquel cas, écrit Molotov, le Comité central ne pourrait que considérer ses
membres comme des « criminels de droit commun [1392] ». Il
exige que des représentants soviétiques participent à l’enquête sur l’activité
des deux hommes. Kardelj informe aussitôt l’ambassadeur soviétique qu’il n’est
nullement question de les liquider, ce qui ne les empêche pas d’être exclus du
PC yougoslave comme « groupe anti-Parti » quelques jours plus tard.
Staline peut ainsi apparaître comme le sauveur de ses deux agents réprimés,
mais loin de s’en féliciter, dans un nouveau télégramme du 19 juin, il
qualifie, au présent et non plus au futur, le Bureau politique yougoslave de « criminels
de droit commun [1393] »
pour son seul refus d’accepter que des Soviétiques participent à l’enquête sur
Hebrang et Jouyovitch. Refuser de céder au diktat de Staline, c’est donc être
un « criminel de droit commun ».
La seconde réunion du Cominform se tient à Bucarest du 19 au
23 juin 1948, dans des conditions tout aussi conspiratrices que la
première. Les dirigeants yougoslaves, invités, ne viennent pas. Ils craignent,
selon les dires de l’un d’eux, de recevoir une balle dans la nuque. Staline
contrôle personnellement son déroulement, avec plus de soin encore que celle de
Pologne. Tous les jours, Jdanov, déguisé cette fois en Jouravlev, Malenkov en
Maximov, et Souslov en Sorokine, lui adressent un compte rendu circonstancié,
qu’il exige plus détaillé encore. Le choix de pseudonymes commençant par la
même lettre que le patronyme véritable est peut-être lié aux défaillances de mémoire
croissantes de Staline, qui, lui, reste Filippov. Avant l’ouverture de la
réunion, les trois hommes l’informent des conversations de couloirs qu’ils
veulent rassurantes. Les quatre délégués qu’ils ont rencontrés individuellement
(Togliatti, Duclos, Gheorghiu-Dej et Rakosi) sont remontés contre les
Yougoslaves, dont le parti, ils en conviennent tous, est dirigé par des agents
anglo-américains. Le parti polonais est représenté par Berman et deux
figurants. Les jours de Gomulka sont comptés. Le dossier de ses déviations
nationalistes, inscrit à l’ordre du jour du prochain Comité central du parti
polonais, à la fin août, est en cours de bouclage. Le trio envoie à Staline par
avion le texte complet du discours du Bulgare Kostov, qui dénonce la volonté
prêtée aux Yougoslaves d’avaler la Bulgarie à travers le projet de fédération
balkanique.
Le trio s’attache, sur instruction, à gommer au maximum l’idée
d’un bloc socialiste face au « bloc occidental » ou américain. Or, le
lendemain même de la clôture de la conférence du Cominform, Staline prend une
mesure qui précipite la confrontation. Il décrète, le 24 juin, le blocus
de Berlin, ville sous statut d’occupation quadripartite ; la raison
officielle de ce blocus, auquel les Occidentaux répondent par un pont aérien
quotidien, est l’introduction par ces derniers, dans leur zone d’occupation, d’une
nouvelle monnaie, le deutsche Mark, que Moscou ne reconnaît pas. La réforme
monétaire n’est qu’un prétexte. Staline l’oubliera six mois
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