Staline
malheureux, Le
Cahier yougoslave. Impossible, dit Staline, de lui donner le prix. Tikhonov
n’y est pour rien, on lui donnera le prix l’an prochain pour une autre œuvre
(qui reste à écrire), mais « le problème est que ces derniers temps Tito
se conduit mal ». Il déambule et reprend : « Il se conduit mal.
Très mal », et, après un silence, ajoute : « Je dirais qu’il se
conduit en ennemi [1388] . »
Le Kremlin soupçonne les dirigeants de plusieurs autres
partis communistes est-européens d’être habités par les mêmes velléités d’indépendance
que les Yougoslaves. Fin mars, le secteur de politique extérieure du Comité
central du PCUS, dirigé par un protégé de Staline, Souslov, le futur « Cardinal
gris » de la direction du Parti sous Brejnev, rédige donc une note sur « les
fautes nationalistes de la direction du parti communiste hongrois [1389] ». Le 5 avril,
il en rédige deux autres, l’une sur « les positions idéologiques
antimarxistes de la direction du PC polonais », la seconde « sur
quelques fautes du Parti communiste de Tchécoslovaquie [1390] ». Le cœur
de la cible, c’est le nationalisme, c’est-à-dire le refus de se plier
totalement aux volontés de Moscou. Les services de Staline constatent un
étrange manque d’empressement des dirigeants de tous ces partis, en dehors du
parti hongrois, à réagir à la réception de la lettre de Staline et Molotov du 27 mars
aux dirigeants yougoslaves. Dimitrov fait voter à son Bureau politique la
solidarité avec la position des Soviétiques mais oublie de les en avertir,
alors qu’il informe Tito qu’il souhaite le voir à son prochain retour de
Tchécoslovaquie. Gomulka et Gheorghiu-Dej, le secrétaire du PC roumain,
trouvent outrée la mise en accusation des Yougoslaves.
Sur ces entrefaites, le 14 mai 1948, le mandat
britannique cesse de prendre effet en Palestine. Le 15, Ben Gourion proclame l’État
d’Israël. La guerre commence aussitôt avec les États arabes, qui soutiennent
les Palestiniens. La Tchécoslovaquie livre massivement à l’armée israélienne
des moteurs d’avion, des armes légères, des munitions. La plupart de ses avions
de chasse sortent des usines Skoda. Des pilotes israéliens s’entraînent en
Tchécoslovaquie. Un pont aérien fonctionne entre Prague et Tel-Aviv. La
docilité du chef de l’État Gottwald, et du Secrétaire général du Parti,
Slansky, vis-à-vis de Moscou, interdit de penser que Moscou n’a pas été
consulté sur chacune de ces mesures auxquelles Staline a donné son aval et qu’il
a, sans doute, même encouragées. De nombreux juifs tchécoslovaques partent en
Israël. Des bureaux du Joint Committee fonctionnent à Prague, à Bucarest, à
Budapest. De nombreux juifs, dans ces trois pays, partent en Israël ou s’engagent
dans l’armée israélienne. À Moscou, Staline reçoit des centaines de lettres
enthousiastes de juifs soviétiques demandant à partir pour Israël, voire de
constituer une escadrille israélienne du nom de Joseph Staline. Le Cominform,
son bureau et sa presse restent muets sur la question…
Le 24 mai, une grande soirée en l’honneur de Mikhoels
est organisée dans son vieux théâtre. Derrière l’hommage à son président
assassiné, Staline prépare la liquidation du Comité antifasciste juif. Mais il
se concentre pour le moment sur les Yougoslaves. Il réunit alors régulièrement
le « groupe des neuf », qui prend des allures de cellule de crise sur
cette question, et tient lieu de Bureau politique. Le 8, puis le 16 juin,
il prépare la seconde réunion du Cominform du 19 au 23 juin et rédige
lui-même la résolution condamnant les Yougoslaves. Ce texte, soumis à la
réunion des rédacteurs du journal du Cominform à Belgrade, est voté à l’unanimité.
Réuni les 13 et 14 avril, le Comité central du PC
yougoslave réfute les accusations de Staline, qui, le 4 mai, frappe un
second coup. Dans une seconde lettre, rédigée sur le ton d’un père sévère s’adressant
à des enfants qui joueraient les adultes, il raille « l’orgueil exagéré
des leaders yougoslaves » qui « ont cru que la mer ne leur arrivait
qu’aux genoux ». Il prophétise : « L’orgueil provoquera leur
chute. » Cette analyse psychologique sommaire est le leitmotiv de la
lettre. Staline semble plus touché par le défi à son autorité que par les
conséquences politiques mêmes de ce défi : « Les leaders
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