Staline
Alexandre Borchtchagovski note de
façon simplificatrice dans L’Holocauste inachevé : « L’histoire
avait joué un sale tour à Staline en faisant de lui le sauveur des juifs
européens, leur bienfaiteur, leur père, alors que quelqu’un d’autre avait pris
le rôle qu’il aurait tant voulu s’attribuer [1471] . » Mais
Staline ne s’est jamais engagé sur la voie d’une solution finale.
Il fait adopter par le Bureau politique, en novembre 1951
et mars 1952, des résolutions dénonçant ce complot. Roukhadzé y accuse
Beria d’avoir dissimulé ses origines juives prétendues. Khrouchtchev affirmera
que « l’accusation de conspiration fut fabriquée pour se débarrasser de
Beria », mais que « Staline, vieux et malade, n’alla pas jusqu’à la
conclusion logique de son plan [1472] ».
La vieillesse n’est pas la seule raison. Il est également mécontent de ses
exécutants. Roukhadzé se vante de ses conversations téléphoniques et de ses
rapports personnels avec Staline, mais n’arrive pas à arracher aux amis de
Beria arrêtés les aveux d’un complot que ce dernier aurait monté. Staline ne
pardonne ni l’échec ni le bavardage intempestif, et il fait jeter Roukhadzé en
prison en juillet 1952. L’intrigue contre Beria, elle, reste à l’état de
projet.
Alors que le Parti ne s’est plus réuni depuis plus de douze
ans, Staline fait décider par le Bureau politique la convocation du XIX e congrès
du PCUS pour l’année qui vient. Le Comité central en a bien pris la décision en
février 1947, mais depuis, plus personne n’avait osé en parler, et nul ne
devait en éprouver vraiment la nécessité. Staline a en tête un projet, qu’il n’expose
pas à ses lieutenants. Pendant plusieurs mois il n’en parle plus. Quel sera l’ordre
du jour ? Qui sera le rapporteur si Staline est trop affaibli pour parader
des heures durant à la tribune. Nul ne le sait. Un jour de juin, il annonce ses
décisions : Malenkov présentera le rapport d’activité du Comité central,
Khrouchtchev un rapport sur la modification des statuts, et Sabourov, le
président du Gosplan, un rapport sur le plan quinquennal
En février 1952, Svetlana quitte son second mari, Iouri
Jdanov Désemparée, elle veut alors voir son père et lui écrit : « J’ai
très envie de te voir, pour t’informer de ce que je vis en ce moment. J’ai
envie de te raconter tout cela moi-même de vive voix. » Elle lui raconte,
brièvement, quelques événements de son existence et tente de vaincre son
indifférence morne : « J’espère, malgré tout, fortement te voir et,
je t’en prie, ne te fâche pas parce que je t’informe des événements post
factum, tu étais au courant des choses avant déjà [1473] . » Il la
reçoit à contrecœur. Huit mois plus tard, elle renouvelle la même demande ;
le 28 octobre, elle lui écrit : « J’ai très envie de te voir. Je
n’ai aucune "affaire" ni aucun "problème", simplement comme
ça. Si tu le permettais et si cela ne te dérange pas, je te demanderais de me
permettre de passer chez toi à Blijnaia deux jours, pendant les fêtes de
novembre, les 8 et 9 novembre. Si c’est possible, j’emmènerai mes deux
petits enfants, mon fils et ma fille. Pour nous ce serait une véritable fête [1474] . » Pas pour lui, il accepte là encore de
mauvais gré. Svetlana tentera plus tard de rejeter sur Beria ses difficultés
permanentes à voir son père. C’est un mauvais procès. Il gouverne comme il vit,
de plus en plus en solitaire, sans cesse plus absent : en 1950, le Bureau
politique ne s’est réuni que six fois. Du 1 er août au 22 décembre,
il n’a reçu aucune visite à son bureau du Kremlin.
CHAPITRE XXXV
Mort d’un tyran
Cet été-là, pour la première fois depuis la guerre, Staline
ne part pas en vacances à Sotchi. Il ne réunit pourtant le Bureau politique que
quatre fois au cours de l’année. Il prépare la grande purge qui vient, et
reçoit de temps à autre au Kremlin.
L’année 1952 est celle des échecs symboliques : l’URSS
ne produit que six films de fiction, alors que Staline supervise
personnellement la production cinématographique et a signé lui-même le décret,
pris en 1948 par le Conseil des ministres, sur le plan de production des films
artistiques et documentaires. Ce plan prévoyait la réduction de la quantité de
films produits pour en améliorer la qualité. Mais quantité et qualité se sont
également
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