Stefan Zweig
d’autres assassins, précède celui de la reine tragique dont les yeux sombres contiennent un peu de ce drame originel et augurent de son macabre avenir : Marie aura un destin de Stuart.
Autant Marie-Antoinette était frivole, gourmande et indisciplinée, autant Marie Stuart, élevée à la cour de France, est un modèle d’application, de sagesse et de retenue. Docile à l’apprentissage et douée par les fées de multiples talents, elle est capable de lire Erasme en latin, de composer des poésies, de chanter et de danser comme nulle autre jeune fille de son âge. En cette cour pourtant si riche en raffinements, elle brille par son savoir et sa prestance. Du Bellay, Ronsard, Brantôme célèbrent sa beauté et son intelligence, sa finesse, ses dons exquis. Mais ce qui plaît évidemment à Zweig, c’est la violence sous l’eau qui dort. C’est une plus forte personnalité que Marie-Antoinette, victime de son temps, victime de ses plaisirs. Marie Stuart est une femme de caractère, ardente et passionnée sous la lisse apparence. L’amour va éveiller en elle des orages, des tempêtes insoupçonnés, qui mettront le royaume en péril, et que seule la main de son bourreau apaisera, en lui tranchant la vie.
Dès sa naissance, la fatalité s’acharne : après la mort de son père, vient celle de son mari, le jeune roi de France François II. Orpheline à peine née, veuve à dix-huit ans, elle ne porte pas bonheur. Remariée à lord Henry Darnley, qui est lui-même un Stuart, arrière-petit-fils d’Henri VII et petit-neveu d’Henri VIII par sa mère, elle ne fait pas le meilleur choix : plus semblable à une femme qu’à un homme, selon ses contemporains, lord Darnley, à peine épousé, se révèle faible et débauché, il ne lui fera connaître qu’humiliations et brutalités. On croirait lire un drame de Shakespeare : autour de cette reine, dont la sensualité et même « l’attrait sexuel » selon Zweig ont dû très tôt exercer leurs pouvoirs, les hommes se battent et s’entre-tuent. De Darnley à Bothwell, l’amant de Marie Stuart, l’Histoire noue des intrigues qui vont faire le malheur d’un peuple. Car c’est une autre reine, sa propre cousine, Elisabeth I re d’Angleterre, fille d’Henri VIII et d’Anne Boleyn, qui tire les fils de l’Histoire et profite des querelles qui naissent autour de sa rivale, tellement plus belle et plus aimée qu’elle.
Stefan Zweig suit avec passion le déroulement d’une vie semblable à « une tragédie aux dimensions antiques ». Comme lorsqu’il contait l’histoire de Marie-Antoinette, le fil conducteur du livre repose sur cet axiome zweiguien : « C’est seulement quand un être met en jeu toutes ses forces qu’il est vraiment vivant, toujours il faut qu’un feu intérieur embrase et dévore son âme pour que s’extériorise sa personnalité. » Chez Marie Stuart, les démons de la politique s’allient à sa féminité véhémente et furieuse quand on contrarie ses pulsions, pour tisser le malheur et la grandeur d’un destin. « En réalité, écrit Zweig, les événements servent de mesure à l’âme. » En l’acculant à un sort tragique, ils vont élever la reine « au-dessus d’elle-même », et faire d’elle une héroïne, selon le beau et triste sens que Zweig donne à ce mot.
L’Histoire n’est jamais pour le biographe que l’occasion de rappeler combien elle est néfaste à l’homme. La politique ? Elle est à ses yeux « la science de l’absurdité » : « opposée aux solutions naturelles, simples et raisonnables, les difficultés représentent son plus grand plaisir et la discorde est son élément ». D’Henri VIII à Elisabeth I re , la politique anglaise sera la pire et la plus fidèle ennemie de Marie. Elle la prendra au filet de ses ambitions, de ses intrigues et se jouera d’elle sans pitié, jusqu’à organiser à son insu le complot final qui permettra de la faire exécuter, sous le prétexte de trahison. Seule contre tous, comme Marie-Antoinette le sera un jour, elle est le symbole de ce qui doit mourir, elle est l’obstacle sur le chemin implacable d’une Histoire en marche. Mais tandis que Marie-Antoinette apparaît comme une victime innocente des vices dont on l’accuse, et que seul le hasard conduit à devenir une offrande expiatoire, Marie Stuart porte en elle, dans sa nature, les ferments de la catastrophe. Presque autant que les événements s’acharnent
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