Suite italienne
en courant, revint de même, secouant la torche qui crachait des étincelles et qu’il approcha de la jeune fille que maintenait toujours César. Celui-ci prit la torche d’une main, et contempla un moment le joli visage empourpré par la colère.
— J’ai eu raison d’insister. Vous êtes très belle.
— Vous venez de m’en punir ! À présent, laissez-moi aller, je vous en supplie.
— Je vais vous laisser aller… mais pas sans que vous ayez payé votre liberté. Un baiser me semble un prix honnête.
Charlotte alors explosa :
— Pour qui vous prenez-vous, et surtout, pour qui me prenez-vous ? Je ne suis pas une fille de joie : je suis princesse et cousine de la reine.
— Princesse ? Vraiment ? Et qui donc…
Il s’interrompit. Micheletto venait de se pencher à son oreille et murmurait quelque chose.
— Tiens donc, fit-il et elle vit ses dents étinceler sous le masque. Ainsi, vous êtes celle que l’on surnomme « la plus belle fille de France ». Disons que vous ne faillissez pas à votre réputation… eh bien, sachez que je n’en désire ce baiser que plus ardemment, car je suis…
— Oh, je sais qui vous êtes, seigneur duc ! Vous vous prenez pour le pape parce que vous êtes son fils, mais sachez-le, pour moi, vous n’êtes qu’un bâtard et un larron… Et j’aimerais mieux mourir que vous donner un seul baiser.
Brusquement, il la lâcha. D’un geste violent, il arracha enfin son masque et elle put voir, sous la flamme de la torche, un beau visage régulier, des traits impérieux encadrés d’une légère barbe. Il était pâle comme un mort et, sous leurs épais sourcils, ses yeux noirs brûlaient de rage.
— Écoutez bien ce que je vais dire… princesse Charlotte. Sur mon nom et sur mon honneur je jure qu’avant peu vous me donnerez de bon gré ce baiser… et beaucoup d’autres avec. Je jure que vous m’appartiendrez corps et âme ! Je vous aurai ou bien je renonce à m’appeler César.
Reculant de deux pas, il ôta gravement sa toque de velours noir où un gros diamant retenait une souple plume de héron et en balaya le sol en s’inclinant avec grâce :
— N’oubliez pas, Charlotte d’Albret. Un jour, vous serez à moi… Et ce sera bientôt…
Charlotte n’avait pas oublié, mais ce soir-là, elle avait éprouvé tant de honte et de peur que le lendemain même, elle demandait la permission de faire retraite à l’Annonciade de Bourges.
À présent, il lui fallait regagner Blois, Blois, où l’on saurait bien la contraindre à obéir, que cela lui plût ou non, puisque là-bas, en Navarre, on en avait décidé ainsi.
Et en effet, peu de temps après, le 12 mai, au château de Blois où la Cour venait de se réinstaller pour la belle saison, le mariage de César Borgia, duc de Valentinois, et de Charlotte d’Albret était célébré en grande pompe, devant le roi, naturellement, qui avait tenu à ce que ces noces fussent éclatantes.
Louis XII mena lui-même à l’autel la fiancée, merveilleusement belle dans une robe de satin blanc toute brodée d’or, avec des manches et un long manteau d’or frisé bordés d’hermine. Des émeraudes, des perles et des diamants étincelaient à ses poignets, à son cou et sur sa coiffe de satin blanc d’où partait un léger voile étoilé d’or. Mais Charlotte était aussi pâle que sa robe et ne leva même pas les yeux sur son fiancé, très beau cependant, dans un pourpoint de brocart écarlate tissé d’argent, avec une profusion de diamants. Celui qui attachait la plume blanche à sa toque de velours rubis était gros comme un œuf de pigeon et chacun en resta stupéfait d’admiration.
Le cardinal d’Amboise, grand chancelier de France, bénit lui-même le jeune couple dans la chapelle du château pavée de fleurs et où l’on étouffait entre la chaleur d’un brasier de cierges et le soleil du dehors. Puis il y eut un grand festin dans les nouvelles salles qui sentaient encore un peu le plâtre et la peinture. Un interminable festin, au cours duquel les jeunes époux n’échangèrent même pas un regard.
Enfin, la reine prit la tête d’un beau cortège de dames pour mener elle-même par la main à la chambre nuptiale la pauvre Charlotte, refusant de s’apercevoir qu’elle était au bord des larmes.
Là, on la dévêtit, on l’installa dans l’immense lit à courtines de velours au milieu des rires et des bavardages et quand elle fut couchée, deux dames allèrent ouvrir
Weitere Kostenlose Bücher