Suite italienne
Génoise, mais il avait aimé tant de femmes ! Comment supposer qu’il pût éprouver pour une seule un tel chagrin ? Est-ce que ce n’était pas une larme qui coulait lentement sur sa joue maigre ?
Incapable de trouver un seul mot qui ne fût dérisoire, le poète, à court d’inspiration, ne put que se taire…
On ramena à Florence le corps sans vie de Simonetta et la cité lui organisa des funérailles dignes d’une princesse de légende, car elle avait été sa plus belle fleur.
Le long cortège parcourut toute la ville. Portée sur les épaules de dix hommes, couronnée de fleurs et le visage découvert, Simonetta, dans une robe féerique, n’avait rien perdu de sa beauté. Elle était seulement aussi blanche que l’albâtre, mais avec ses beaux cheveux répandus autour d’elle et jusque sur les soieries précieuses de sa couche, elle semblait dormir.
Elle était même plus belle que jamais, car la mort avait effacé les traces de la maladie pour ne restituer qu’une image affinée, idéalisée.
Derrière elle, les deux frères, tout de noir vêtus, Julien se soutenant à peine, et Laurent pareil à un automate, menaient le deuil avec, alentour, une foule énorme, compacte et silencieuse, qui pleurait d’un cœur unanime.
Le soir venu, on déposa la jeune morte dans l’église d’Ognissanti, proche du palais Vespucci, où elle allait dormir son dernier sommeil. Mais quand la foule se fut retirée et que le sacristain voulut fermer l’église, il s’aperçut qu’il y avait encore quelqu’un. Un jeune homme tout vêtu de noir était resté là et, à genoux sur la dalle qui dérobait le divin visage, il sanglotait éperdument, balbutiant à travers ses larmes :
— Je le savais… je le savais, moi, qu’elle ne reviendrait plus…
C’était Sandro Botticelli…
III
Meurtre dans la cathédrale
Ce soir-là, à Rome, il faisait un temps épouvantable. C’était la semaine sainte de l’année 1478 mais, en dépit de l’approche de Pâques, les églises ne faisaient pas recette. Le mauvais temps d’abord, qui poussait les Romains à rester chez eux, et puis le fait que la Ville éternelle, sur laquelle régnait depuis sept ans le pape Sixte IV, était tout ce que l’on voulait sauf sûre dès que le jour baissait. Dans cet immense coupe-gorge délabré et crasseux les factions rivales des Orsini et des Colonna s’en donnaient à cœur joie sans que la police pontificale tentât quoi que ce soit pour les ramener à la raison.
Néanmoins, dans un petit cabinet bien clos, niché au cœur d’un superbe palais de la place Saint-Apollinaire, quatre hommes tenaient un conciliabule tellement passionné qu’ils ne prêtaient attention ni aux rafales de pluie ni aux hurlements qui s’élevaient de temps en temps de la nuit criminelle.
Bien différents, ces quatre hommes… Le premier était le maître du logis, le seigneur Jérôme Riario, gros garçon brutal, ancien gratte-papier à la douane de Savone mais neveu de Sa Sainteté Sixte IV et devenu du coup l’un des plus fastueux seigneurs de Rome. Un seigneur mal décrassé peut-être mais marié à une bâtarde princière, l’intrépide Catherine Sforza, et tellement cousu d’or qu’il n’était personne à Rome qui ne se déclarât son ami.
Le second était notre ancienne connaissance Francesco dei Pazzi, devenu banquier du Vatican, ce qui lui permettait de monter encore de juteuses affaires malgré sa banque florentine aux trois quarts ruinée par les Médicis. Celui-là suait tellement la haine que son maigre visage en était à présent jaune de fiel et sa conversation se bornait à une idée fixe : abattre, d’une façon ou d’une autre, les Médicis exécrés. Une idée que partageait amplement Riario depuis que, ayant acquis par la grâce de son oncle la ville romagnole d’Imola, il avait dû apprendre à compter avec Laurent de Médicis, ami de Venise avec laquelle il le prenait en tenaille, et couché à sa porte comme un tigre prêt à mordre. Tant que celui-là serait en vie, Riario ne pourrait espérer étendre ses possessions en Romagne.
Le troisième, Salviati, était un prêtre, et même un évêque… encore que simplement nominal. Lui aussi détestait les Médicis avec lesquels il avait eu très souvent maille à partir.
Quant au quatrième, Jean-Baptiste de Montesecco, qui se disait condottiere, il s’agissait d’un homme de main capable de n’importe quelle besogne vile ou sanglante en échange
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