Suite italienne
peu de la haine, une haine soufflée en grande partie par Francesco qui, après sa défaite du tournoi, ne s’était pas tenu pour battu. Décidé à tout pour supplanter Julien, dont il enviait l’élégance, la beauté (il était lui-même vigoureux mais petit, noiraud et fort laid) et les succès féminins, il avait fait, auprès de Simonetta, une tentative à la fois brutale et stupide qui lui avait valu de se faire chasser honteusement par les gens des Médicis.
Le malheur voulut que cet événement regrettable pour sa vanité se produisît au moment même où une affaire embrouillée d’héritage opposait le vieux Jacopo à Laurent de Médicis. Débouté par les magistrats de la ville et s’estimant (peut-être avec quelque raison) lésé, Jacopo décida l’exode de sa famille, et plia bagages. Les Pazzi prirent la direction de Rome où ils étaient certains de trouver auprès du pape un accueil compréhensif et une oreille attentive.
Pourtant, le beau printemps de Florence qui les enrageait tant et que Botticelli avait si bien traduit sur la toile sous les traits de Simonetta s’en allait lentement vers son déclin.
À la suite du tournoi, la beauté et la grâce de la jeune femme parurent plus éclatantes encore qu’elles n’avaient été. Elle semblait se surpasser elle-même, comme si sa jeunesse était pressée de jeter d’un seul coup tous ses feux. Et en effet, l’hiver venu, une maladie sournoise commença de miner la plus parfaite expression de la beauté. De diaphane, Simonetta devint transparente… Elle souffrit d’abord d’un simple rhume mais qui s’éternisa, refusant de guérir. Des quintes de toux apparurent qui la laissaient pantelante, épuisée, avec de tragiques taches rouges aux pommettes, des yeux trop brillants de fièvre.
Le matin, elle allait assez bien, mais à mesure que la journée s’avançait, la fièvre s’emparait d’elle et montait, montait…
Habitué depuis des années à ne plus s’occuper de celle qui n’était sa femme que de nom, Marco Vespucci n’y prêtait qu’une attention distraite, mais au palais Médicis, l’inquiétude grandissait.
Un soir, dans les derniers jours du mois de mars 1476, Laurent, occupé à examiner les rapports de quelques-uns de ses émissaires à l’étranger, reçut la visite de Piero Vespucci, le propre frère de Marco, et lui aussi tendrement attaché à la jeune femme.
Quand il entra dans son cabinet, le Magnifique fut frappé par la pâleur du jeune homme et, jetant sa plume, se leva pour venir à sa rencontre, les mains amicalement tendues.
— Mon ami ! Quelles nouvelles apportes-tu ? À ta mine, j’ai grand peur qu’elles soient mauvaises.
— Elles le sont, sois-en certain. Le mal qui ronge Simonetta va sans cesse empirant. Elle paraît si fragile qu’un simple souffle devrait pouvoir la renverser. Et depuis trois jours, elle ne se lève plus.
— Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ? Que disent les médecins ?
Piero haussa les épaules avec agacement.
— Ils ne le savent pas eux-mêmes. Les uns disent que ce n’est pas grave, les autres qu’elle est perdue. Marco refuse de s’en occuper et de quitter ses livres.
— Pourquoi changerait-il ? Mais Julien ? pourquoi Julien ne dit-il rien, ne fait-il rien ?
— Parce qu’il ne peut rien faire. Il n’ose pénétrer chez nous à cause de Marco, et passe ses nuits à errer autour de notre maison, drapé dans un grand manteau noir, un chien sur les talons.
— Et il passe ses jours dans les églises à prier pour sa bien-aimée. Pauvre Julien. Comme il paie cher son merveilleux bonheur ! Mais revenons à Simonetta : il faut qu’elle quitte Florence, l’emmener près de la mer. qui est la grande purificatrice. Les fièvres ne résistent pas à son air vivifiant.
— Julien ne la laissera pas s’éloigner de lui.
— Je lui parlerai. Vous possédez un domaine près de la mer, il me semble ?
— Non. Nous l’avons vendu l’an dernier. Marco disait que nous n’en avions pas besoin.
— Alors, prenez notre villa de Piombino. La maison est belle, le jardin magnifique et l’air excellent. Il y a dix ans, Julien y a guéri d’une blessure reçue dans une joute.
Deux jours plus tard, Simonetta quittait en litière le palais Vespucci. Toute la ville était dans la rue et, sur le seuil, deux hommes pleuraient dans les bras l’un de l’autre : Julien, qui n’avait pas eu le droit d’accompagner sa bien-aimée (et Dieu
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