Suite italienne
d’une poignée d’or.
Ces quatre personnages, réunis pour mettre au point l’opération au cours de laquelle les Médicis trouveraient la mort, sortaient tout droit du Vatican, où le Saint-Père les avait reçus… pour parler de la même affaire. La conversation, qui ressemblait assez à un dialogue de sourds, faisait honneur en réalité à la duplicité du Saint-Père, plus encore qu’à son sens de la diplomatie.
À Montesecco lui représentant qu’il serait bien difficile d’abattre Laurent, sans exterminer aussi Julien et peut-être quelques autres, Sixte IV avait répondu :
— J’exige qu’il n’y ait pas mort d’homme. Laurent a beau être un coquin, pour rien au monde je ne voudrais sa mort mais seulement le changement de l’État.
— On fera ce qu’on pourra pour que cela n’arrive pas, dit Riario, qui avait été à bonne école. Mais si cela arrivait, Votre Sainteté pardonnerait bien au meurtrier ?
— Tu es bête. Je te le répète, je ne veux la mort de personne. Allez et faites comme vous l’entendez, mais qu’on n’ôte la vie à personne !
— Au moins, Saint-Père, dit à son tour Salviati, laissez-nous mener la barque. Nous la dirigerons sûrement.
— Bien entendu, je vous donne toute ma confiance, mon fils, et je consens à tout ce que vous déciderez pour le plus grand bien de Florence… et de l’Église.
Ayant ainsi compris à demi-mot, les quatre conjurés étaient rentrés chez Riario pour y mettre au point les derniers détails de leur projet. Le pape avait fourni le prétexte de fêtes à Florence en nommant un autre de ses neveux, le jeune Rafaël Riario, qui n’avait que dix-sept ans, cardinal-archevêque de Pérouse et en décidant qu’il partirait sur l’heure occuper son siège pontifical. Or, pour gagner Pérouse, le mieux était de passer par Florence, et les Médicis avaient fait dire qu’ils recevraient la nouvelle Éminence avec tous les honneurs dus à son rang.
À l’aube, les conjurés, moins Riario qui ne pouvait se mouiller en personne, prirent la route de Florence, ou tout au moins de Montughi, où le vieux Jacopo dei Pazzi les attendait dans sa propriété de campagne, loin des oreilles indiscrètes. Quelques détachements des troupes pontificales prirent également la route de Florence pour se tenir à proximité et être sur place afin de ramener l’ordre quand « la chose » serait faite.
Une troupe de jeunes militants pleins d’ardeur envahit bientôt la villa de Montughi. Il y avait là Napoleone
Francezi, Bernardo Bandini, Jacopo Bracciolini et quelques autres, dont le précepteur de la maison Pazzi et un autre prêtre. Si l’on y ajoute l’archevêque Salviati et le cardinal de Pérouse l’affaire prenait l’allure d’une croisade beaucoup plus que d’une chasse au fauve.
Toujours grand seigneur, Laurent avait décidé de recevoir fastueusement le jeune cardinal Riario. Il y eut des fêtes dont les conjurés pensaient pouvoir se servir pour exécuter leurs noirs desseins, mais chaque fois, l’un des frères Médicis manquait et il fallait avoir les deux ou personne.
On finit par se mettre d’accord sur la grand-messe de Pâques, autrement dit le dimanche 26 avril 1478. On abattrait les deux frères dans la cathédrale Sainte-Marie-des-Fleurs, le Dôme de Florence.
— Il serait tout de même étonnant qu’ils n’assistassent pas tous les deux à la grand-messe du saint jour de Pâques, dit Francesco dei Pazzi avec une vertueuse indignation qui eût été comique en d’autres circonstances. Là, nous les tiendrons et personne ne pourra rien pour eux, car nous veillerons à ce que l’église contienne surtout des gens à nous.
Mais le vieux Jacopo, son père, n’était pas d’accord.
— Tuer le jour de Pâques, dans une église ? Vous ne craignez pas que cela vous porte malheur ?
— Les frères Médicis, c’est l’Antéchrist en deux personnes, riposta Salviati. Dieu, au contraire, sera avec nous. Il présidera à l’exécution, car le signal de l’action sera la sonnette de l’Élévation. Ensuite, nous laverons le Duomo, nous le purifierons, et Dieu sera content…
C’était véritablement faire un arrangement avec le Ciel, mais un arrangement à sens unique, où le second partenaire n’avait pas été consulté.
On se partagea les rôles. À Montesecco, le spadassin, revenait l’honneur de tuer Laurent. Francesco et Bandini abattraient Julien, cependant que Salviati et
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