Suite italienne
l’Étoile de Gênes mais cela ne détruisit pas le charme dont elle était captive. Le jeune couple devint pour tous le symbole même de la jeunesse et de l’amour. L’insignifiant époux n’eut que le droit de s’effacer et de retourner compter ses ducats. D’ailleurs, quelle pouvait être l’importance de l’époux d’un symbole ? Simonetta était devenue pour tous l’âme et la quintessence même de Florence qui, avec orgueil, se reconnaissait en elle.
Durant sept belles années, Simonetta Vespucci présida en reine incontestée à toutes les fêtes que donnaient les Médicis, aussi bien dans leur palais de la Via Larga que dans leurs somptueuses villas des collines, à Careggi ou à Fiesole. Sa gaieté, sa grâce répandaient autour d’elle une atmosphère aimable et douce.
Laurent, toujours secrètement épris mais attaché aux affaires de la ville, trouvait dans le travail un dérivatif à l’amour sans espoir. Julien, heureux, se laissait griser par son bonheur sans imaginer un seul instant que certains parmi ceux qu’il approchait journellement pouvaient nourrir au fond de leur cœur une envie amère. Ainsi de Francesco dei Pazzi, le fils d’un des plus riches banquiers de la ville.
II
La fin d’une déesse…
Le grand triomphe de Simonetta Vespucci eut lieu le 28 janvier 1475 quand, pour son anniversaire, les Médicis ordonnèrent un grand tournoi, plus fastueux que tout ce que l’on avait pu voir jusqu’à présent. Elle devait en être la reine, l’inspiratrice et la lumière et Florence, ce jour-là, eut pour elle les yeux mêmes de Julien qui, vainqueur désigné du tournoi, y participa vêtu d’une armure d’or et portant une bannière sur laquelle Botticelli avait peint Simonetta en Pallas, avec comme devise : « La Sans Pareille ».
Naturellement, le jeune homme défit tous ses adversaires. La plupart étaient des amis qui se « laissèrent faire » aimablement. Un seul lui donna du fil à retordre : le jeune Pazzi, qui s’était juré de recevoir, en ses lieu et place, le laurier d’or et le baiser des mains et de la bouche de Simonetta… Furieux, Julien l’envoya mordre la poussière et s’en alla recevoir sa double récompense tandis que les valets des Pazzi emportaient Francesco, inconscient et contusionné… sous les vivats de la foule.
Ils l’emportèrent ainsi jusqu’au palais familial où, en guise de baume et de vulnéraire, le vieux Jacopo, son père, lui délivra une verte mercuriale.
— Qu’avais-tu besoin de te rendre ridicule aux yeux de tous alors même que les Médicis rêvent notre ruine ? Je t’avais interdit de figurer à ce tournoi ridicule où Julien étale son adultère aux yeux de tous !
— Je voulais que ce soit lui qui morde la poussière. J’en étais capable, car je sais combattre aussi bien que lui… mais tout était convenu d’avance.
— Si tu veux prendre une revanche sur ces frères maudits ce n’est pas dans un tournoi qu’il faut la chercher, ce n’est pas au milieu de leurs flatteurs et de leurs amis, c’est auprès de ceux qui les haïssent, qui complotent contre eux. Ce n’est pas sur la place Santa Croce qu’il faut aller, c’est à Prato, c’est à Volterra… c’est à Rome, où le pape Sixte IV voit d’un mauvais œil grandir leur puissance et se consommer notre esclavage.
En effet, Laurent, à mesure que coulait le temps, infléchissait lentement les institutions de la république de Florence vers une structure presque monarchique. Il était devenu l’âme, l’esprit et le bras de la ville, qu’il menât ses affaires commerciales ou conduisît une guerre avec toute l’impitoyable rigueur de son époque. Les cités satellites et rebelles de Volterra et de Prato, dont il avait réprimé les velléités d’indépendance avec une dureté proche de la cruauté, en gardaient le souvenir douloureux.
Le Conseil de la République était tout entier dans sa main car, peu à peu, il en avait évincé les membres des grandes familles comme les Guicciardini, les Ridolfi, les Nicolini et les Pazzi, pour les remplacer par des hommes de petite condition qui ne devaient qu’à lui seul leur élévation. Dans ces conditions, une colère sourde commençait à gronder dans les luxueux palais florentins, tandis que le peuple tout entier adorait à l’égal d’un dieu celui qui savait régner sur lui tout en lui laissant l’illusion du pouvoir.
Avec les Pazzi, cette « grogne » allait devenir peu à
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