Suite italienne
important des deux frères, le maître de Florence, en avait réchappé.
Une foule énorme se porta vers Laurent pour lui dire son amour, cependant que la chasse aux Pazzi commençait.
En un rien de temps, tous ou presque furent arrêtés car, croyant leur coup réussi, ils étaient entrés dans la ville afin de s’emparer des points stratégiques du pouvoir : il n’y eut qu’à les cueillir.
Et tandis que Florence offrait à Julien des funérailles aussi somptueuses que celles de Simonetta, la répression commença, terrible, impitoyable.
L’archevêque Salviati fut pendu séance tenante à une fenêtre de la Seigneurie, avec son frère et plusieurs de ses familiers. Vingt-six autres partisans des Pazzi furent massacrés par la foule, débités comme animaux de boucherie. D’autres furent pendus la tête en bas suivant la mode pittoresque de Florence. Ainsi de Francesco dei Pazzi, qui mourut d’ailleurs courageusement. En tout deux cent soixante-dix personnes furent offertes en holocauste aux mânes irrités de Julien de Médicis. Les derniers à mourir furent Montesecco, qui n’avait cependant rien fait, et le vieux Jacopo, qui s’était enfui et que l’on reprit pour le pendre à côté de son fils. Et pendant une longue semaine, Florence se roula dans le sang et dans la vengeance. Et Botticelli, à nouveau en larmes, dessina d’un crayon impitoyable l’archevêque Salviati pendu à la fenêtre du palais…
Le nom des Pazzi fut rayé des registres de Florence. Leurs armes, devises et écussons, effacés. Ils avaient totalement cessé d’exister pour Florence et les rares qui vivaient encore durent changer de nom. Après quoi, le pape Sixte IV, furieux de voir son coup manqué, fulmina l’excommunication… contre Laurent de Médicis.
« Ô douleur ! Ô crime inouï ! Ils ont porté leurs mains homicides sur un archevêque et le jour même du Seigneur, ils l’ont pendu publiquement aux fenêtres mêmes de leur palais… »
Que l’on eût assassiné Julien en pleine messe de Pâques n’intéressait apparemment pas le Saint-Père. Il voulut aller plus loin, frappa Florence d’interdit et réussit tout juste à soulever la ville contre lui. Les Florentins molestèrent ses envoyés, traitèrent Sa Sainteté de suppôt de l’adultère et de vicaire du Diable et réclamèrent la réunion d’un concile œcuménique pour le déposer. Pendant ce temps, Laurent faisait alliance avec le roi de Naples et amenait le bouillant pontife à composition.
Mais si Laurent sortait de cette terrible aventure avec un pouvoir renforcé, beaucoup de choses avaient changé en lui avec la mort de ce jeune frère qu’il aimait si tendrement. Simonetta d’abord, Julien ensuite… le beau printemps de Florence s’était évanoui pour ne jamais revenir et le cœur du Magnifique se refermait… Il avait été plein de mansuétude envers ses ennemis, tant que la jeunesse et l’amour fleurissaient autour de lui. Il devint le maître dur, impitoyable qu’il avait tant espéré ne jamais être, mais il tenait fermement entre ses mains maigres la balance politique de l’Italie.
En revanche, pour le peuple, il demeurait le mécène généreux, adoré des artistes et des lettrés. Sa maison restait le rendez-vous des grands esprits en même temps qu’un musée et le siège d’une académie platonicienne.
Il aimait toujours les femmes mais pas la sienne, la Romaine, la hautaine Clarissa Orsini, qui n’avait jamais su trouver le chemin de son cœur mais ne se privait pas de censurer la vie aimable de Florence.
Une dernière passion vint éclairer sa vie : celle que lui inspira Bartolomea dei Nasi, gracieuse et charmante plus que belle, mais lui-même n’était plus ce qu’il avait été : à quarante-quatre ans, il avait la silhouette voûtée d’un vieillard. Sa santé se délabrait dangereusement.
Les dernières années de sa vie furent tristes. Savonarole, le moine fanatique, faisait tonner sur Florence sa voix pleine de malédictions. Il parlait d’enfer, de flammes éternelles, maudissait les artistes, la beauté, la richesse, la joie, la musique et la danse, et Florence, versatile comme une femme, se détournait un peu du maître qu’elle avait tant aimé pour frémir sous les violences de cette nouvelle idole qui allumait des bûchers avec des chefs-d’œuvre.
Dans les premiers jours d’avril 1492, l’année où Christophe Colomb allait redécouvrir l’Amérique, Laurent tomba gravement
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