Suite italienne
seul savait combien de paroles Laurent avait dû user pour l’empêcher de commettre une folie), et Botticelli, qui avait déjà ébauché sa Naissance de Vénus et voyait s’éloigner à la fois son modèle et son amour secret.
— Nous ne la reverrons plus, sanglotait-il en regardant s’éloigner le petit cortège. C’est fini ! Elle ne reviendra plus.
À Piombino, Simonetta sembla retrouver un peu de forces. Sa mère, prévenue, était accourue de Gênes, et le 18 avril, Piero pouvait écrire aux Médicis :
« Il y a un peu d’amélioration. Nous attendons maître Stefano et tout autre médecin avec diligence et nous ferons aussi vite que possible pour activer la guérison. »
Alors, Laurent oublia sa légendaire prudence et qu’il s’était imposé de taire à jamais un amour jugé par lui interdit. Mais cet amour, à présent que Simonetta était en péril, l’étouffait et s’il pleurait moins que son frère, il souffrait peut-être davantage. Des affaires l’appelant à Pise, il partit sous ce prétexte mais dans le seul but de se rapprocher de la chère malade.
Deux jours après, d’ailleurs, une nouvelle lettre de Piero le rejoignait, apportant l’espoir.
« La santé de Simonetta, par l’aide de Dieu et grâce à l’habileté de maître Stefano, s’est considérablement améliorée. Il y a moins de fièvre et moins de faiblesse, moins de difficulté à respirer et elle mange et dort mieux. Selon les médecins, sa maladie sera de longue durée, car il n’y a que peu de remèdes, sinon les bons soins. Et voyant que ce progrès vous est dû, nous tous et sa mère, qui se trouve à Piombino, nous vous envoyons avec ferveur nos remerciements… »
Dans les églises de Florence, la foule priait jour et nuit, se relayant sans fin pour obtenir du Ciel la guérison de son étoile génoise. Jamais les marchands de cierges n’avaient fait de telles affaires.
Quant aux habitants de Piombino, ils vivaient suspendus au souffle pénible de cette jeune femme parvenue si rapidement au stade le plus avancé de la phtisie. Mais hélas, le mieux qui avait mis tant de joie au cœur de ses proches n’était que le dernier éclat de vie qui précède la fin. Ni les larmes de sa mère ni les soins de tous ceux qui l’aimaient ne purent quoi que ce soit contre la maladie. Le 26 avril, avec le soleil couchant, s’envolait l’âme légère du beau Printemps de Florence.
Simonetta mourut sans secousse, doucement, glissant dans la mort comme au fil de l’eau. Et Piero, désespéré car il avait aimé, lui aussi, au-delà de son rôle fraternel, écrivait une dernière lettre qui rejoignit à Florence le maître obligé d’y revenir sans avoir pu gagner Piombino.
« L’âme bénie de Simonetta s’en est allée en paradis. En vérité, on peut dire que cela fut un second triomphe de la Mort, car si vous l’aviez vue comme elle gisait morte, vous l’auriez trouvée aussi belle et aussi gracieuse que vivante. Requiescat in pace… »
Le parchemin craqua au bout des doigts de Laurent. Lentement, il le laissa retomber sur la table et regarda son ami Politien qui, un peu plus loin, jetait des morceaux de fruits à un lévrier.
— Simonetta est morte, dit-il seulement mais d’une voix si éteinte que le poète, surpris, releva la tête et pâlit.
— Morte ?… déjà ?… Ce n’est pas possible.
— Et pourtant, cela est.
Il n’ajouta rien et, quittant la pièce, se dirigea vers le jardin de Careggi dont les fontaines scintillaient sous la lune tels des panaches de perles… des perles comme Simonetta aimait tant à en porter.
Il fit quelques pas sur le sable d’une allée. Politien à son tour quitta la villa et suivit son ami. Il le vit arrêté au coin d’un massif de roses, la tête levée vers le ciel criblé d’étoiles. Et comme il s’approchait, tout à coup, le Magnifique leva une main, désignant la voûte céleste :
— Regarde cette étoile. Jamais encore je ne l’avais vue. Vois comme elle brille, et comme auprès d’elle les autres étoiles paraissent ternes et faibles… En vérité, je crois que c’est l’âme de Simonetta. Ou bien elle s’est changée en cette étoile nouvelle ou bien elle s’y est jointe pour lui donner plus de lumière.
Politien, à son tour, garda le silence. Dans le ton de son ami, il découvrait à présent une souffrance dont il n’avait jamais soupçonné la profondeur. Il avait deviné que Laurent aimait secrètement la belle
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