Sur la scène comme au ciel
toujours occupée,
craint-il de donner des renseignements ou de faire courir un risque de
représailles au dernier membre de sa famille, ou est-ce une sorte de code entre
eux qui ferait de l’institutrice sa complice, quand il plaisante par exemple
sur le restaurant où il a pris pension et dont la cuisine n’est
pas des plus raffinées, ou quand, filant la métaphore de l’entreprise, il
évoque un contremaître qui doit donc être en fait son chef hiérarchique, mais
qu’il juge épatant, ou fait un tableau de ses camarades soi-disant ouvriers et
qui ressemble à s’y méprendre à un récit de chambrée (Mon copain de piaule
se fend la pipe car, ne faisant pas de bruit, une souris en a profité pour se
glisser sous ses couvertures. Elle nous a échappé mais l’encrier s’est répandu
sur sa lettre. Il rouspète. Il fait 1 m 92 et est surnommé gratte-ciel, son
grand copain est évidemment rase-mottes qui mesure 1 m 55. Ils sont crevants
tous les deux) ? Et s’il avoue être devenu philosophe et étudier la
psychologie, plutôt que l’imaginer le nez dans des livres savants, il est
raisonnable de penser qu’il résume ainsi d’un clin d’œil en direction de sa
tante les vertus que requièrent la vie de caserne, et qui lui sont si peu
naturelle, qu’il dut à son caractère indépendant quelques jours d’arrêt pour
actes d’indiscipline.
Pour brouiller davantage les pistes, il feint même de
redouter, toujours sur le ton de la plaisanterie, d’être mobilisé (Je crois
que dans dix ans la guerre sera terminée et qu’arrivé à l’âge de Mathusalem je
ne craindrai pas d’être mobilisé), alors que nous avons la preuve que le 5
février 45 il a contracté un engagement, et ce pour la durée de la guerre, dans
l’armée régulière, en intégrant le groupe de transport 625-285° CIE, ce
qu’atteste le lieutenant Thibault par sa signature sur un imprimé ainsi
libellé, Certificat de présence au corps, ainsi que le lieutenant Brante
sur une autre feuille tout aussi officielle mais seulement dactylographiée. De
certificats en attestations, on le suit ainsi à la trace depuis son entrée dans
la clandestinité : attestation du mouvement Vengeance pour son action dans
le corps franc à partir du 5 février 44, certificat signé par le chef
d’escadron François de Turquat pour avoir servi comme volontaire et avec
honneur au Y bataillon des Forces françaises de la Loire-Inférieure, du 5 août
44 au 12 décembre 44, l’exhibit d’un ordre de mission, daté du 5 octobre 44,
l’autorisant à circuler à toute heure de jour et de nuit, et avec tous moyens
de locomotion, carte de circulation permanente (Militaires) du 17 novembre 44 mentionnant
son appartenance au 2 e Bureau de Loire-Inférieure, un certificat de
présence certifiant qu’il a été employé au service du lieutenant Gaston Pie de
la DGER, en qualité d’agent de liaison du 12 décembre 44 au 5 février 45
inclus, un permis de passer à travers les lignes américaines, en fait, un
tampon : Permit this agent to pass through american lines, apposé
sur une de ses fausses cartes d’identité datée du 3 mars 43, une fiche
d’identité de solde des FFLI datant son entrée en service dans les FFI de
septembre 43, lui donnant droit, au 6-3-45, à percevoir une somme de 2 909
francs de laquelle on a déduit un impôt cédulaire de 121 francs, sa fiche de
démobilisation du 12 e escadron de train, 101 e compagnie,
caserne Marceau – Limoges, avec le grade de maréchal des logis (qui
était déjà celui de son père au cours de la première guerre), donnant droit au
transport gratuit pendant quinze jours à compter du 15-10-45, laquelle précise
que l’intéressé a reçu trente jours de solde, trente jours de tabac et trente
jours de tickets d’alimentation, plus une prime de démobilisation de 1 000
francs, autant de documents qu’il avait rassemblés dans un épais portefeuille
en cuir usagé, un quasi-portfolio, déposé dans le coffre-fort dont son père,
qui rêvait sans doute à de fastueuses recettes, avait fait l’acquisition dans
les années trente, pour finir par disparaître sous les reconnaissances de
dettes, en quoi on reconnaît qu’il se moquait, comme notre mère, des pieuses
reliques, ce que nous confirme cette carte de la Fédération des Amicales de
Bataillons FFI, qui nous indique, un tampon au verso, qu’il régla une
unique cotisation avant de se désintéresser, lui, le surnommé Jo le dur par
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