Survivant d'Auschwitz
approfondies. Les soupes elles-mêmes avaient leurs particularités : la graisse nageait en surface, cela signifiait que les pommes de terre étaient au fond du caisson. Grâce à de savants calculs, on parvenait ainsi à des résultats intéressants – une soupe de légumes épaisse, quelques morceaux de viande, de pommes de terre, et du thé sucré, bref, toutes ces choses qui faisaient rêver.
Nous étions tenus dans l’inconnu, concernant ce qui se passait au camp et dans le monde extérieur. Un jour pourtant, quelque chose d’inattendu se passa. Au cours d’un appel classique, je reçus l’ordre d’aller me présenter. On vérifia mes nom, matricule et lieu de naissance et, à la surprise de toute la chambrée, je fus emmené. Terrorisé par la peur et l’incertitude, je cherchai à comprendre pour quelles raisons cela m’était tombé dessus, moi qui faisais tout pour ne pas attirer l’attention. Y avait-il du nouveau à propos de Papa ? Était-il arrivé quelque chose à Maman ? Me trouvait-on trop jeune ?
Au bloc du Secrétariat, je vis venir vers moi un détenu, habillé proprement, de taille plutôt petite et de corpulence robuste, qui parlait couramment l’allemand. Contrairement au règlement du camp, il n’était pas tondu et ses cheveux coiffés en brosse ressemblaient aux pointes d’un hérisson.
« Je fais partie des détenus qui travaillent au Bureau des enregistrements de la SS. En fait, c’est moi qui m’en charge. C’est une position à très grandes responsabilités, dit-il d’un ton tranquille et sûr de lui. J’ai regardé ta fiche et je voudrais en savoir un peu plus. Parle-moi de tes proches. Comment ont-ils vécu depuis 1933 ? »
Je lui racontai l’histoire de notre famille dans ses grandes lignes ; il m’interrompit plusieurs fois, voulant que je lui donne plus de détails. Ensuite, il me demanda de lui parler de Papa plus en détail. J’essayai de ne rien raconter et il me dit d’un ton entendu : « Ne t’inquiètes pas ! Je suis au courant qu’il vous a laissés tomber. »
« Je ne t’ai pas oublié, poursuivit-il à mon grand étonnement. Je te connais depuis le jour de ta naissance. À l’époque, j’habitais en face de chez vous, à Stettin. Tu te souviens ? Keding ? Celui qui vous livrait à la maison ? C’est moi ! Je me suis retrouvé ici, parce qu’apparemment j’avais détourné des fonds du Parti ; mais maintenant, ils se sont rendu compte que tout cela n’était pas vrai et ils le regrettent d’ailleurs. Je vais être bientôt relâché. C’est pour ça que j’ai le droit de me faire pousser les cheveux et qu’on m’a donné ce poste à responsabilité. Tant que je suis encore là, je voudrais t’aider autant que possible. Mais il faut que cela reste secret. J’ai beaucoup d’amis qui sont ici depuis longtemps et qui, eux aussi, ont besoin de mon aide. Il ne faudrait pas qu’ils soient jaloux, ou même, répandent des rumeurs. Donc pas un mot ! Demain, même heure, aile sud, tiens-toi à la fenêtre du milieu. Dès que tu me vois, tu l’ouvres, mais reste calme. Allez, bonne chance ! Je dois retourner au travail. »
Je tins parole et me faufilai le lendemain jusqu’à la fenêtre de notre rendez-vous. Lorsque Keding arriva en bas, j’ouvris la fenêtre et vis qu’un petit paquet venait d’être jeté. Il contenait du pain et du saucisson ! Je les partageai avec mes quatre amis, comme nous nous l’étions promis, lors de notre première rencontre. Grâce à cette nouvelle relation, nous devînmes bientôt, nous les petits jeunes, les chouchous de tous. Il y eut même des intellectuels qui, au bout de trois semaines de camp à peine, étaient tombés si bas qu’ils nous supplièrent de les aider eux aussi. La jeunesse devait-elle suivre leur exemple ?
Des kommandos de travail, destinés à être envoyés vers d’autres camps, furent formés, annonçant la fin de notre quarantaine. L’immense usine IG-Farben de Monowitz avait des besoins croissants en main-d’œuvre bon marché, afin d’assurer la production du Buna , le caoutchouc synthétique. Il fallait toujours plus de pneus aux véhicules motorisés de l’armée et plus de bras aux industriels. Les corps décharnés de ceux dont on ne pouvait plus tirer aucun profit étaient brûlés à Birkenau et remplacés par de nouvelles recrues toutes fraîches, qui sortaient de quarantaine.
Afin de remplir les quotas, les plus faibles – ceux qui avaient
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