Survivant d'Auschwitz
pourtant été déclarés inaptes lors de la sélection précédente – étaient envoyés dans ce moulin à os. Seuls sept détenus de notre convoi restèrent à Auschwitz, dont nous quatre.
Complètement inexpérimentés, nous devions viser à faire la meilleure impression possible auprès de nos supérieurs. Nous nous réunîmes pour décider d’une stratégie commune. Sally et Jonathan voulaient demander à rejoindre l’école de maçonnerie, une structure très à part au camp. Ils avaient entendu dire qu’elle était une sorte de refuge pour les jeunes, où l’on pouvait passer quelques semaines en sécurité et y apprendre le métier. Nous avions travaillé comme aide-jardiniers, nous nous considérions comme des « mecs forts », et nous étions d’avis, Gert et moi, qu’il fallait tout de suite accepter ce travail, aussi dur fût-il.
Après mûre réflexion, nous tombâmes d’accord sur le fait qu’il ne fallait surtout pas nous séparer, mais au contraire rester ensemble. Nous savions combien il était dangereux de ne pas avoir l’air prêt à travailler, et nous pensions qu’en unissant nos forces et nos faiblesses nous optimisions nos chances d’entrer dans cette école.
Début août, nous pûmes enfin sortir de quarantaine et voir le camp pour la première fois. Avant la création du camp, quelques bâtiments en briques rouges de deux étages servaient de caserne à l’armée polonaise. Aujourd’hui, il s’agissait d’un ensemble de vingt-huit blocs en trois rangées, reliés entre eux par des chaussées en asphalte. Des parterres accueillants bordaient les rues et des fleurs poussaient dans des bacs aux couleurs riantes, posés sur le rebord des fenêtres. Un gazon bien entretenu séparait le camp de la clôture de barbelés, qui l’entourait. Tout ceci faisait certainement bonne impression aux visiteurs de ce camp modèle, qui servait de vitrine aux délégations allemandes et de pays neutres, lorsque celles-ci poussaient la curiosité jusqu’en ces lieux, pourtant très éloignés de leurs centres d’intérêt.
Les blocs comportaient une multitude de petits châlits de bois, où chaque détenu avait son sac de paille et trois couvertures grises. Ces châlits se divisaient en trois rangées de planches superposées. Les blocs étaient agencés de sorte que chacun contenait deux cents détenus dans la cave, quatre cents dans les quatre salles du rez-de-chaussée, six cents dans les deux du premier étage et trois cents sous les combles, soit un total de mille cinq cents hommes. Il y avait, au camp, sept blocs réservés aux malades, trois aux services administratifs, trois qui servaient de baraquements et un bloc de cuisines.
Isolés du monde extérieur par une double clôture de barbelés électrifiés de trois mètres de haut et d’un mur de béton, nous savions tout, désormais, de ce qui constituait les prisons nouvelle version.
Nous ne voyions les SS que lors des deux appels quotidiens. L’administration interne du camp était aux mains des détenus eux-mêmes. La hiérarchie à l’intérieur des barbelés se déclinait autour du doyen du camp ( Lagerältester ), du coiffeur du camp ( Lagerfriseur ), de l’interprète du camp ( Lagerdolmetscher ), du secrétaire du camp ( Lagerschreiber ), enfin du responsable de l’enrôlement au travail ( Arbeitseinsatzleiter ), tous reconnaissables à leur brassard. Les surveillants et les doyens de bloc faisaient partie de la suite. Au travail, il y avait les kapo-chefs ( Oberkapos ), les kapos, les sous-kapos ( Unterkapos ) et les contremaîtres ( Vorarbeiter ), le terme de Kapo venant de l’italien pour dire « chef ».
Le doyen de camp, un Allemand, était un vieux criminel sélectionné par la SS parmi les kapos des tout premiers camps. Forts de leur longue expérience, ses supérieurs avaient parfaitement su où trouver la fine fleur de nos bourreaux. Un de ses caprices préférés était de prendre au hasard un innocent – le malheureux n’imaginait pas ce qui l’attendait – et de le battre sauvagement sans raison.
La plupart des postes de surveillants étaient aux mains de criminels de droit commun allemands, qui, comme lui, avaient de terribles crises d’agressivité. Les Juifs, Russes et Tsiganes ne dépassaient jamais le grade de sous-kapos. Seul Birkenau – l’enfer sur terre – ne faisait pas de différences nationales, et les détenus de droit commun de toutes les races pouvaient s’y adonner à toutes
Weitere Kostenlose Bücher