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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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le bloc où vivaient les Prominenzen , ces détenus privilégiés, kapos et vieux « criminels » allemands, qui étaient répartis dans des petites chambres confortables. Jamais aucun détenu banal n’aurait osé y pénétrer, fût-il même invité.
    Enfin, je le rencontrai. Il me raconta son histoire : « Comme tu sais, j’étais commerçant. Peut-être te demandes-tu comment je suis arrivé ici. Il s’avère qu’un jour j’ai trouvé un trou dans ma caisse et j’ai eu des soupçons contre ma femme. Tant et si bien que j’ai fini par le lui dire. Nous nous sommes énervés et terriblement disputés. Elle prétendait qu’elle avait donné l’argent au NSV, le fonds social nazi, mais pour moi cela ne changeait rien, j’étais tellement furieux, et je crois bien que je les ai un peu trop envoyés au diable, elle et le fonds. Elle m’a quitté. Apparemment, elle s’est plainte à des gens, et peu après, je me suis retrouvé accusé d’avoir “très gravement” offensé les institutions du Parti. Voilà comment je suis arrivé ici. Mais maintenant, ajouta-t-il – et il n’avait pas l’air de s’en réjouir –, on me renvoie à la maison. Ma vieille carte de membre du Parti a dû faire de l’effet, surtout en ce moment, que cela ne va pas fort pour l’Allemagne. »
    Il me présenta à l’un de ses amis, un « criminel » allemand, qui avait une sale tête : « Ce copain t’aidera quand je ne serai plus là. Retiens son nom et son bloc. Si tu as besoin d’un conseil, vas le voir. »
    Keding voulait savoir si j’aimais bien le sucre – ce qui était évident – et nous convînmes de nous revoir le lendemain. Je me demandais comment il était possible que, dans un monde où il n’y avait pas une miette à gratter, quelqu’un se préoccupe de savoir si oui ou non j’aimais les sucreries, et j’osais à peine imaginer que nous allions nous revoir.
    Après l’appel du soir, je me précipitai au bloc 3. Keding m’y attendait, avec un sac rempli de sucre brun, mouillé.
    « C’est tout ce que j’ai pu faire, dit-il comme en s’excusant, mais j’ai trouvé l’astuce. Une fois par semaine, quand je rentre – je suis le seul travailleur de mon kommando –, je passe sous le portail et j’ai le droit d’aller aux cuisines pour rapporter une grande cafetière aux détenus allemands du bloc 3. Je peux le sucrer autant que je veux. Alors le truc, c’est de mettre du sucre plein la cafetière, ensuite je rajoute du café jusqu’à ras bord ; une fois au bloc, je sers tout le monde, et voilà ce qui reste au fond ! »
    J’attrapai précipitamment le sac, tel un mendiant qui vient de recevoir un billet de cent marks et qui prend peur parce qu’il ne sait pas où le cacher.
    « Bonne chance, me dit mon bienfaiteur furtivement alors qu’il remontait dans sa chambre, on ne va plus se voir, je rentre la semaine prochaine. Bonne chance, petit ! »
    En rentrant dans notre bloc, je fus tout de suite assailli par mes camarades de chambrée. Le sucre était une denrée, au camp, dont on avait entendu parler de très loin seulement. Tous voulurent y goûter. Je ne pouvais pas le leur refuser, puisqu’ils étaient, comme moi, des mendiants.
    Nous partageâmes le reste du sachet entre nous quatre, membres du « pacte », avalant ce sucre goulûment, mais le plaisir dura tout de même deux jours. Nettement moins douce comme saveur fut l’aigreur des récriminations de ceux qui trouvaient que « j’avais fait le généreux sur le dos des autres ». « Tu n’as pas le droit de te sucrer comme cela sur notre compte », me vis-je reprocher.
    Je n’appris que beaucoup plus tard l’autre version du passé de Keding. La grande passion de notre ami avait été le scoutisme avant 1933 et il lui était arrivé, en tant que chef de meute, de recevoir des groupes de louveteaux chez lui. Un terme fut mis à tout ceci le jour où il fut traîné en justice, accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec ses protégés. Puis Hitler vint au pouvoir, Keding endossa l’uniforme de la SA et tout rentra dans l’ordre.
    Mais alors, me demandais-je, comment se faisait-il qu’il soit entré au camp comme prisonnier politique ? Son triangle était délavé, certes, mais peut-être n’avait-il jamais été rouge, mais rose, la couleur des homosexuels ! Ce qui expliquait alors pourquoi il avait tellement insisté, avant d’être relâché, pour qu’on ne nous voie pas ensemble. Avec tout

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