Survivant d'Auschwitz
au-dessus, ainsi que les liquides – chauds ou froids – qui coulaient des étages supérieurs.
Pour « remonter le moral », il y avait aussi les slogans dans les chambrées, chargés de rappeler les règles en vigueur dans le camp. Dans la nôtre, on pouvait lire sur la partie supérieure du mur, peinte en blanc, ainsi que sur les châlits supérieurs : « Il n’y a qu’une voie vers la liberté – ses bornes s’appellent application, obéissance, etc. » Ils étaient complètement ignorés par les uns, qui ne comprenaient pas ce qui était écrit, et par les autres, que tous ces boniments ennuyaient. On avait déjà essayé de nous impressionner avec ce genre de phrases et on en avait farci les têtes de la jeunesse allemande, pour mieux la soumettre aux fatals dessins de ses aînés.
L’appel, en rangs de dix, au garde-à-vous, au cours duquel un caporal arrogant nous comptait de son doigt ganté, se chargeait de nous rappeler quotidiennement l’insignifiance de notre existence. Cette lourde épreuve se prolongeait pendant des heures, quand le nombre de prisonniers ne correspondait pas avec les chiffres de la comptabilité, ce qui arrivait presque toutes les semaines. N’importe quel sadique aurait été excité d’avoir à sa merci un camp entier de « sous-hommes », en rangs, épuisés, et les nazis avaient rapidement su exploiter pareille aubaine.
Le « chef de bloc 7a » – c’était son titre – adorait l’« exercice du bac à fleurs », pour lequel son candidat de prédilection était notre médecin. Il consistait à hisser une de ces jolies, mais si lourdes caisses à fleurs en bois vert, qui ornaient les fenêtres, et à la tenir en l’air à bout de bras, pendant que le caporal, le pistolet dégainé, y construisait une pyramide de pots de fleurs.
Nous avions vite trouvé une méthode pour protéger de cet arbitraire nos camarades les plus exposés : nous les avions changés de place et avions mis aux premier et dernier rangs les détenus d’apparence plus solide, qui avaient meilleure mine et risquaient moins d’être choisis. Malheureusement, les SS s’en étaient rendu compte. Ils avaient cessé de s’intéresser aux rangs extérieurs et rentraient dans les rangs à coups de bottes et de fouet.
Qui avait l’air typiquement russe ou avait le nez busqué était automatiquement pris comme bouc-émissaire. Qui ne ressemblait pas à ladite caricature n’était malheureusement pas beaucoup mieux loti. « Sale Tsigane plein de poux, comment oses-tu être blond ? s’entendait-il aboyer. Ta mère devait être une sacrée pute ! »
Le dimanche était relativement calme. Le matin, nous nous acquittions des multiples tâches que la semaine harassante ne nous avait pas laissés faire : brosser les seules pauvres guenilles que nous possédions, recoudre un numéro matricule propre, repriser nos chaussettes, et si besoin était, laver nos sous-vêtements, que nous ne pouvions changer qu’une fois tous les quinze jours. Nous allions également faire la queue chez le coiffeur, enfin nous nous occupions de nettoyer notre bloc. Vers midi, nous graissions nos godillots – qui, en général étaient dépareillés –, puis nous descendions pour l’appel.
Celui du dimanche servait aussi d’inspection et il se trouvait toujours un bloc plus sale que les autres. Mais il ne fallait absolument pas que cela tombe sur nous, élèves de l’école de maçons, car notre situation était bien peu sûre.
Après la distribution de la soupe, nous avions un couvre-feu de deux heures, au cours duquel le camp devait faire la sieste. À l’exception de ceux qui dormaient jusqu’au lendemain matin, nous nous réveillions alors tiraillés par la faim et passions le reste de la journée à essayer d’« organiser » quelque chose.
Nous errions alors tout l’après-midi dans le camp, à chercher un ami ou de la nourriture. Notre situation était rendue d’autant plus difficile que si la misère et la faim semblaient demeurer invisibles, le bien-être et la richesse s’exhibaient par contre sous bien des formes. Nos pas ne nous conduisaient pas vers les gémissements des compagnons d’infortune, mais plutôt vers les parcelles de nourriture des quelques privilégiés. Nous croisions au passage l’arrogance des familles de SS, qui semblaient vouloir nous narguer avec leur promenade dominicale derrière la clôture.
Le seul moyen d’oublier tout cela était d’aller dormir.
Un
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