Survivant d'Auschwitz
t’aider sans contrepartie. Tu sais bien qu’ici il nous faut non seulement renoncer aux femmes, mais c’est à peine si on se souvient encore du plaisir qu’on avait avec elles. » Il ferma la porte et commença à déboutonner son pantalon. J’étais terrorisé. Ma seule possibilité de sortir aurait été de lui porter un bon coup, mais je n’osai pas. Je ne savais pas quoi faire, et ne trouvai rien d’autre que de rester assis, sans faire le moindre mouvement d’inclination. Il insista, me disant qu’il commençait à avoir froid.
Puis il abandonna : « Ah ! J’en ai assez de toi, assis là, on dirait qu’on va te trucider ! Tu ne sers à rien, tu me fais juste perdre mon temps ! »
Il ouvrit la porte et je voulus filer pour ne plus jamais revenir, mais il me retint : « C’est pas grave, j’en trouverai d’autres. Je ne vais quand même pas te laisser complètement tomber. Tu peux venir de temps en temps au bloc 1a pour venir chercher de la soupe, il y en a toujours qui est mise de côté pour moi. »
Gert l’Effronté et le Grand Kurt se moquèrent de moi, quand je leur racontai mes mésaventures : « Oui, ce gros cochon et ses passions, c’est bien connu, dirent-il en faisant la grimace, et si jamais quelqu’un s’avise de vouloir le dénoncer, le vieil intriguant se charge de le faire envoyer à Birkenau. Réjouis-toi qu’il ne t’ait pas brandi cette menace. Intéressant, ton idée de jouer la naïveté et l’innocence ! Pas mal de garçons ont déjà essayé ce truc, mais c’est dangereux, au moment décisif. Comme tu as mené ce vieux renard par le bout du nez pendant des semaines, tu dois sacrément savoir t’y prendre maintenant. »
Ils connaissaient bien la vie au camp et ils avaient sans doute raison. Presque tous les adolescents se voyaient faire ce genre de propositions, et rares étaient les détenus privilégiés qui s’en abstenaient. Malgré toutes les tentatives pour l’éradiquer, l’homosexualité était un secret de polichinelle.
Quelques mois plus tard, nous apprîmes que le coiffeur du camp avait été transféré dans un nouveau kommando, suite à une querelle avec un officier SS. Les allusions cyniques de notre doyen de bloc à propos des « amis adultes » s’avéraient exactes. « C’est un sport dangereux que de vouloir maintenir des relations avec les gens importants. Quand ils coulent, ils emportent leurs amis avec eux. »
Malgré ses lois strictes, parfois même impitoyables, le bloc 7a restait un refuge, vierge de toute intrigue, tout le contraire de ce qui se passait ailleurs au camp. C’était un havre, où la dureté de la vie de prisonnier, avec ses hauts et ses bas, cédait le pas devant la clarté d’échanges d’opinions, libres et honnêtes, et celle du rayonnement d’une jeunesse pleine d’espoir.
Il y eut bientôt une autre de ces sélections tellement redoutées, au cours desquelles ceux des prisonniers qui ne représentaient plus le moindre espoir de profit pour leurs maîtres étaient envoyés vers l’usine à mort de Birkenau. Après l’appel du soir, l’ensemble du camp devait se rendre à pied aux douches, par une route, qui s’appelait le Birkenweg * 1 . Elle était bordée de part et d’autre par les clôtures de barbelés électrifiés et une haie de gardiens, de telle sorte qu’il n’y avait aucun espoir de pouvoir s’échapper. Notre moral était au plus bas, et dans une interminable file d’attente, nous attendions que, à un rythme d’escargot, vienne notre tour d’entrer dans les salles d’examens. Un silence de plomb régnait, que seul venait interrompre l’écho solitaire des galoches de bois, qui résonnaient sur la route. C’étaient celles de l’heureux « élu à vivre », qui avait passé la sélection et pressait le pas pour rentrer. Certains parmi nous priaient. Quelques-uns pensaient à chez eux. D’autres, qui avaient abandonné tout espoir de survivre, semblaient indifférents à ce que le destin les rappelât.
Du haut de quatre miradors, quatre fusils mitrailleurs pouvaient à tout moment mettre fin à nos projets et à nos espoirs. Même les vieux détenus allemands, pourtant aguerris et confiants dans les privilèges que leur statut leur conférait, avaient peur. Mais chacun restait seul avec ses pensées.
Ce fut notre tour. Nous pénétrâmes dans la salle de douche, froide et humide, nous nous déshabillâmes, ramassâmes notre ballot de vêtements et passâmes
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