Survivant d'Auschwitz
butin d’eau chaude en équilibre pour ne pas en perdre une goutte – se mettre en sécurité dans les latrines.
Quand les problèmes devenaient trop sérieux – causés soit par des ordres venus d’en haut, soit par les détenus eux-mêmes –, le bloc était mis sous couvre-feu. Cela signifiait que nous allions nous faire tancer par le doyen de bloc et devoir nous coucher tôt. Les sermons étaient sévères, mais pleins d’un humour très noir : comme d’habitude, il nous rappelait que seule la plus grande autodiscipline nous sauverait. « Et à ceux qui croient au paradis », disait-il ironiquement, en se tournant vers la Petite-Varsovie, la Petite-Salonique, le coin des catholiques et celui des Juifs, « et qui pensent que je parle pour ne rien dire et que je me répète, parce que j’aime m’écouter, à ceux-là, je dis juste que je n’envie pas leur refuge. Ils n’auront d’ailleurs pas à chercher loin, ni longtemps. Le “kommando de l’Ascension* 3 ” se réunit tous les quinze jours. La seule chose que j’espère, c’est que lorsque vous monterez au paradis par la cheminée de Birkenau, vous serez assez propres pour que les anges veuillent bien vous recevoir.
« Quand au reste, criait-il en en faisant les cent pas dans l’allée, vous feriez mieux de faire ce que je vous dis. Si je vous y reprends ce soir, à jouer les hannetons noctambules, je vous préviens que vous aurez affaire à moi, et que celui à qui je mettrai une raclée ne sera pas près de l’oublier ! Personne, vous m’entendez bien, personne n’a le droit de traîner dans les toilettes lorsqu’il y a le couvre-feu. C’est compris ? Personne ! »
Puis, c’était l’extinction des lumières. Nous avions parfaitement compris qu’il ne plaisantait pas, mais nous espérions qu’il allait s’endormir – même un homme aussi énergique que notre doyen de bloc avait besoin de se reposer ! Une demi-heure après qu’il avait éteint dans sa chambre, pensant qu’il dormait profondément, nous retournions à notre vie nocturne, sans plus nous occuper de ce qu’il nous avait dit. Nous étions plusieurs dizaines à quitter notre place, à descendre l’escalier dans le froid, et à courir aux latrines pour nous remplir l’estomac avec la seule chose qui existait en quantité suffisante : de l’eau.
Le temps maussade annonçait l’approche de l’hiver, et nous le redoutions, car nous étions presque à bout de forces. Les choses ne tournaient pas à notre avantage et les prophètes s’étaient trompés. L’armée allemande – grâce à tous ceux qui ne souhaitaient pas la fin rapide d’Hitler – était encore puissante et le nazisme, plus triomphant que jamais. La souffrance était notre seul combat.
Dans cette partie de cartes qu’était notre survie, notre jeu n’était pas bon et les SS disposaient de quatre atouts, autant de menaces contre nous : le fouet, le bunker , les maladies et la chambre à gaz.
Tous les jours, il y avait des « appelés » pour trois de ces châtiments ; retenus peu avant la fin de l’appel du soir, ils étaient conduits dans l’avant-cour des cuisines. Chacun d’eux était alors attaché à un chevalet et recevait le fouet : 25 coups pour un délit mineur, 50, 75, et parfois même 100 pour le reste. Ceux dont l’interrogatoire croisé* 4 ne s’était pas révélé suffisamment édifiant étaient envoyés au bloc 11, le bunker . Les cellules, sombres et humides, étaient l’instrument de torture ; elles étaient si exiguës que le détenu restait debout sans pouvoir bouger d’un centimètre.
Il aurait été illusoire de croire que, dans cette vie de camp, si dure, la jeunesse ait bénéficié d’un traitement de faveur. Un jeune surpris endormi sur le chantier recevait 25 coups de fouet, et celui qui était aperçu en train de parler à un civil était promis au bunker . Il fallait un corps sain, doté d’une forte volonté pour survivre à de tels châtiments, et en cas de malaria ou de typhus, seul le destin pouvait vous aider.
Un nouvel ennemi était apparu : l’hiver polonais. « Il a été très dur l’année dernière ; ceux qui venaient des pays de l’ouest et qui n’y étaient pas habitués n’y ont presque pas survécu », racontaient les vieux détenus. Les prévisions pour cette année semblaient meilleures, et nous avions reçu des manteaux rayés, une écharpe et des gants. Emmitouflés de la sorte, nous étions tous joyeux, quand
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