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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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inspireraient pour rechercher, jusqu’au dernier, nos oppresseurs et leurs vassaux et faire que justice soit.
    Comme nous travaillions à proximité d’une route, nous regardions souvent en sa direction pour apercevoir les nouveaux arrivants. Notre attention était attirée par les longues colonnes de femmes, qui venaient du camp surpeuplé de Birkenau et se rendaient à la désinfection et la douche mensuelle. À une distance suffisamment éloignée pour que leurs gardiens ne puissent nous poursuivre, nous leur demandions leur nationalité et partions à toute vitesse chercher leurs compatriotes parmi nous.
    « Y a quelqu’un de Miskolc ? » nous demanda l’une d’elles. Nos voix se firent l’écho de sa question et résonnèrent dans les ateliers vides, qui étaient en construction. La réponse arriva sous forme de pas rapides, des camarades hongrois natifs de cette ville, pour qui jadis celle-ci avait été un havre de paix et de joies familiales. Esquivant prudemment les gardiens – des femmes SS et leurs chiens féroces, partout présents –, ils s’approchaient de la route à la recherche de quelques relations d’antan.
    Nous observâmes la suite avec attention. Nos contreparties féminines s’avançaient péniblement vers l’endroit où nous étions, revêtues de haillons, les cheveux tondus, le visage marqué par la souffrance et le désespoir. Elles levèrent à peine la tête pour nous saluer, gardant le peu de force qui leur restait pour pouvoir se traîner le long de cette route poussiéreuse. Je les regardai pensivement, me disant qu’il y a quelques semaines encore, ces mêmes femmes, élégamment vêtues, étaient peut-être en train de se promener dans les rues de Budapest, attirant au passage quelques regards admiratifs. Aujourd’hui, elles étaient tout en bas de la hiérarchie des déportés – de nouvelles recrues, impuissantes – et le cœur d’un homme avait du mal à voir une telle détresse. Pour leur redonner du courage, nous nous découvrîmes, retirant de nos crânes chauves nos calots bleu et blanc, et nous nous forçâmes à sourire, en leur faisant un signe de la main.
    Nos camarades de chantier nous racontèrent plus tard qu’elles avaient demandé s’il y avait des camps pour les enfants. Isolées dans un baraquement spécial du camp des Juifs hongrois, les femmes vivaient en plein cœur de l’usine de morts qu’était Birkenau, et la direction du camp, rusée, les maintenait dans l’ignorance en continuant de parler de « déplacement ». La vérité n’était donc pour beaucoup d’entre elles, qu’une affreuse rumeur supplémentaire, qu’elles espéraient ne jamais voir se réaliser.
    J’adorais regarder les femmes détenues, c’était presque devenu une passion. Je voulais comprendre ce qui les rendait si attirantes. Lorsqu’un groupe de détenus avançait au loin et qu’on reconnaissait aux robes qu’il s’agissait de femmes, nous faisions tout, nous les adolescents, pour saisir une occasion de quitter le travail. La raison la plus fréquemment invoquée était évidemment le besoin d’aller à trois aux toilettes, mais on n’y avait droit qu’une fois par jour. Si nous avions réussi à nous retenir jusqu’à n’en plus pouvoir et que nous faisions partie des trois premiers qui avaient aperçu les robes, notre ruse était réussie. J’avais une excellente vue et une non moins excellente vessie et me distinguais toujours à ce petit jeu-là. Notre surveillant était le premier lui-même à espionner les femmes, mais nous ne craignions pas sa concurrence . Cette bonne âme criait en ces occasions : « Trois garçons qui ne sont pas encore passés aux latrines ? Alors, c’est maintenant ! » Il fallait saisir la balle au bond, après ce n’était plus qu’une question de souplesse.
    L’enthousiasme pour aller saluer les femmes était partout le même dans tous les kommandos de travail. En un clin d’œil, les détenus se pressaient à qui mieux mieux les uns contre les autres au bord de la route, et c’était à celui qui réussirait à apercevoir quelque chose. Malheureusement, notre petit jeu prit fin brutalement le jour où les SS se lancèrent à notre poursuite. La chasse fut ouverte par une femme en uniforme SS. Elle avait des mollets de coq, était absolument affreuse, mais elle s’était imaginé que nos regards lui étaient destinés et, de ses cris d’orfraie furieuse, avait alerté les gardes, qui se mirent à nous

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