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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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brigand / Juste parce que j’aime une fille , disait le soldat à l’autre bout du monde. Chaque fois que j’en fredonnais l’air, devenu mon signe de reconnaissance, j’avais l’impression d’être vivant, envers et contre tout, d’être encore le même, après un an de déportation. Je ne savais pas à quoi je ressemblais – nous n’avions pas le droit d’avoir de miroir – mais d’entendre mon air préféré, était bien la preuve que j’existais.
    Le soir, dans nos châlits, il arrivait souvent que des adolescents russes se mettent à chanter, et ces airs bouleversants portaient en eux une telle charge, à la fois de résistance et de confiance, que nous reprenions en chœur. Français, Belges, Hollandais, Allemands, Autrichiens, Italiens, Tchèques, Slovaques, Polonais, Hongrois, Grecs ou Russes, nous nous laissions emporter par le rythme, et peu importait ce qu’en auraient pensé nos pères ! Ces mélodies nous prenaient aux tripes, comme deux générations plus tôt, elles avaient séduit et entraîné les révolutionnaires. Elles n’avaient rien perdu de leur sens initial. L’appel à s’unir et lutter contre l’ennemi commun valait aujourd’hui comme hier, et beaucoup plus encore : il était devenu vital ! Même ceux qui étaient contre le communisme, à l’instar de nombreux Ukrainiens, ne pouvaient plus rester dans leur coin et, comme aimantés, venaient se joindre au chœur.
    Nos chansons préférées étaient « Et si demain apporte la guerre », « De frontière en frontière » et « Cavaliers des steppes ». Elles nous rendaient sentimentaux et nous imaginions, quelque part dans les forêts d’Europe, les jeunes partisans les fredonnant eux aussi. Nous faisions nôtre leur combat et le nôtre était le leur.
    L’arme à la main, ils se battaient pour ceux qui n’avaient pas reconnu l’ennemi à temps, tandis que nous, pauvre troupeau humain, étions réduits à tenter de survivre. Il ne restait qu’une chose que nous puissions faire pour la cause commune : chanter. Il y avait aussi les traditionnels chants du camp. La plupart étaient au départ des marches militaires allemandes sur lesquelles les détenus avaient mis un texte, anodin. Le chant d’Auschwitz, lui, était d’un mauvais goût rare. Il reprenait une des mélodies préférées de nos gardes et les paroles étaient : « Qu’il neige ou que fleurissent les roses, nous resterons à Auschwitz. » Il existait parce que les responsables du camp avaient voulu avoir un chant, mais il était si répugnant, que nous ne le chantions que contraints et forcés.
    Nous avions trois chants, composés presque dix ans auparavant par d’anciens détenus, qui racontaient la vie dans les camps des Marais, près de Pappenburg. Le premier disait : Quand l’enfer côtoie le bois / Quand le marais m’engloutit / Je pense à toi Patrie, Ô ma patrie… Malheureusement, la musique – un ancien chant de la marine allemande – était plus entraînante qu’émouvante, ce qu’elle aurait pourtant dû être. Le second, Nous sommes les soldats des Marais / Habillés en jaune et noir… , n’était pas non plus de mise, sans compter que la partition était une marche nazie de travailleurs et le ton en était beaucoup trop fort et optimiste. Le troisième par contre, dont les paroles et la musique avaient été composées par des déportés, nous plaisait totalement. Depuis le premier jour où, en 1934, il avait résonné dans le camp des Marais, le Börgermoor , il était devenu une sorte de chant emblématique pour les prisonniers politiques. Assez rythmé lui aussi, il soulignait cependant que le combat serait long et difficile. Loin vers l’infini / S’étendent de grands prés marécageux , et qui le chantait jusqu’au bout entendait la strophe annonciatrice : Mais un jour dans notre vie / Le printemps refleurira .
    Ce chant, bouleversant, chanté dix ans auparavant par des détenus allemands antifascistes, seuls et oubliés dans les camps des Marais* 1 , était aujourd’hui repris par près de quatre cents jeunes, issus de l’Europe entière, qui unissaient leurs voix avec force pour lui redonner vie. L’hymne des détenus résonnait dans le bloc comme un défi, crevant la nuit sombre, la nuit nazie. Nous savions qu’avec nous, des millions d’autres camarades dans les camps le chantaient, et que ce jour viendrait, où nous serions tous unis. Plus fort alors, nos chants retentiraient ; un jour, ils nous

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