Survivant d'Auschwitz
pourchasser. Nous courions dans tous les sens à travers le chantier et dans les nouveaux ateliers pour leur échapper, et cherchions désespérément un endroit où nous cacher. J’aperçus alors un tas de caisses vides, qui venaient d’une livraison de machines. L’une d’entre elles avait encore son couvercle et me sembla une bonne cachette. Je me précipitai à l’intérieur.
Le bruit des cris et des recherches dura vingt minutes, lourdes d’angoisse, puis il cessa. Je sortis tout doucement de ma planque et là, brusquement, m’aperçus que toutes les autres caisses étaient occupées. Une fois tous sortis, nous nous réunîmes en un grand conciliabule, puis un à un, prudemment, repartîmes, mais cette fois au travail.
Les quelques garçons qui avaient couru dans la mauvaise direction, et s’étaient fait prendre par leurs poursuivants, furent punis de vingt-cinq coups de fouet sur le séant. Aller au bord de la route pour voir passer les femmes était désormais classé comme un délit. Mais le désir, l’inaccessible, restait plus fort et nous fîmes tout pour continuer de voir les femmes. Dès que nous étions au camp, nous nous pressions autour du baraquement toujours plein de vapeur – il servait de laverie – et tentions désespérément de les apercevoir sous la douche. Nous faisions la courte échelle pour arriver jusqu’à la seule et unique fenêtre aux vitres brisées, haut perchée, à travers laquelle nous parvenions à distinguer vaguement et de loin seulement des corps nus. Malheureusement, même ce plaisir, pourtant bien modeste, nous fut bientôt retiré. Les femmes n’allèrent plus au bain.
Vint le jour où je compris que le succès arrive toujours quand on l’attend le moins. Nous étions entre la ligne de chemin de fer et la route de Birkenau en train d’arracher quelques baraquements qui ne servaient plus, lorsque nous fûmes surpris par un violent orage. Le travail fut arrêté et nous espérions que ce geste du ciel durerait un peu. Je partis avec quatre autres garçons trouver refuge dans une grange abandonnée, où nous nous reposâmes un peu, écoutant les gouttes qui rebondissaient joyeusement sur la tôle ondulée.
Tout à coup, notre attente fut interrompue par la brusque entrée de deux nouveaux arrivants, qui, sans s’apercevoir que nous étions là, se mirent à essorer leurs vêtements, trempés jusqu’à la corde. En regardant le contour de leurs silhouettes, je réalisai brusquement qu’il s’agissait de filles, de belles et robustes filles ! J’étais si stupéfait de découvrir l’objet de tous mes rêves de jeunesse, là, à portée de main, que je ne pouvais rien faire d’autre que d’en fixer toute la grâce et la féminité.
Mes amis, eux, connaissaient la vie depuis longtemps et ils surent très vite créer des liens. L’une était polonaise, l’autre russe, et leur gardienne – peut-être avait-elle eu peur de rester seule avec des détenus – était allée chercher refuge dans une guérite non loin de là. La conversation n’alla pas au-delà. La pluie était bienveillante, certes, pour ces quelques jeunes hommes en mal de séduction, mais il fallait faire vite. Deux couples partirent s’isoler dans l’autre partie de la grange, un sanctuaire rempli de foin, pendant que je faisais le gué avec mes copains dehors. Nous les enviions beaucoup, bien sûr, d’avoir une telle chance, mais nous espérions qu’un jour viendrait la nôtre.
Le bruit fort et rythmé de la pluie martelait le toit d’une manière très harmonique et ne faiblissait pas. La nature est forte, dit-on, et elle offre quelques joies…
Lorsque nous rentrions au camp, nous passions souvent devant un nouveau camp, que j’avais bien connu lorsqu’il était encore en chantier. Il abritait pour le moment un pré-kommando de femmes, chargées de l’aménager : soixante-dix châlits de trois lits superposés, une table, une armoire et deux bancs par chambrée. Les quelques détenues qui s’y trouvaient avaient été choisies parce qu’elles étaient fiables, et n’étaient temporairement surveillées que par un seul garde, posté devant l’entrée, ce que nous sûmes largement exploiter.
En longeant le camp, les filles et nous mutuellement nous jetions des fleurs par-dessus la clôture ; elles étaient un peu fanées, mais elles venaient du cœur et nous les avions cueillies pendant les quelques rares minutes de répit qui nous restaient à la pause de midi,
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