Survivant d'Auschwitz
dernier effort, Hitler, à l’instar de Pilsudski, tenta de retourner les Polonais contre les Russes. Nous eûmes la visite au camp d’un militant issu des rangs fascistes polonais, venu parler à ses compatriotes avec de grands accents nationalistes sur la nécessité d’une « armée de défense nationale », chargée de repousser l’agresseur. La mission était sans espoir, mais réussit néanmoins à notre surprise à récupérer quelques adeptes, sauvant ainsi l’opération de l’échec total.
Tous les jours, le nouveau kommando de déblayage et de déminage sortait du camp muni de pelles, pioches, longs crochets et d’une charrette basse pour aller déminer les obus non éclatés. Il était lui aussi composé de « volontaires », des gens venus de toute l’Europe occupée, mais bien trop intelligents pour s’être laissé convaincre – ne fût-ce qu’une seconde – par les « salades » que racontaient les nazis sur « le sauvetage de la civilisation occidentale ». Ils avaient été plutôt attirés par l’offre sonnante et trébuchante – et tellement plus réaliste – d’une ration supplémentaire de nourriture.
« Quand on est nourri de pain et d’eau, les chances de survivre à Auschwitz, cette Hydre de Lerne imaginée par nos ennemis, sont égales à zéro ! Tandis qu’une mine, réfléchissez, elle n’explosera que si on vient la chatouiller ! » C’était l’argument des démineurs en tenue zébrée, qui gardaient le secret espoir que si les explosifs alliés n’avaient pas déchiqueté l’ennemi, ils sauraient peut-être également épargner leurs amis.
À cette époque, nous reçûmes des nouvelles concernant ces détenus allemands, qui étaient partis à l’armée. Tous placés sur la ligne de front, ils n’avaient jamais eu le droit de quitter le champ de bataille, et leur compagnie – entièrement formée d’anciens détenus – avait été envoyée en opération-suicide, où ils s’étaient tous fait massacrer.
Les Juifs venant des pays « riches », comme la Hongrie ou l’Italie, avaient fait l’objet d’une ruse parfaitement calculée de la part des nazis, tenant à leur faire croire qu’ils seraient « déplacés à l’est ». Tout ce qu’ils avaient emporté était raflé : valises, vêtements, draps, vélos, machines à coudre, sacs remplis de nourriture, liasses de correspondance personnelle, piles de photos, bagues, bijoux, billets de banque cachés, tout partait vers la baraque du tri, où l’attention portée à ces objets était inversement proportionnelle au mépris affiché pour leurs propriétaires. Une fois le triage effectué, les étiquettes enlevées, et les noms décousus, tout était remis dans des trains et partait pour l’Allemagne.
« Auschwitz-Breslau » : telle était la destination indiquée sur les plaques fixées à chaque wagon. Nous nous demandions comment il était possible que des gens, au terminus du train, en mal de prospérité et d’une société de consommation, puissent profiter de tout ce pillage et ignorer d’où cela provenait.
Une grande partie de la nourriture apportée par les nouveaux arrivants était avariée ou considérée comme peut-être « empoisonnée » ; elle était donc dérivée vers les cuisines du camp.
Comme tout ce qui arrivait des convois de masse et de l’étranger, les macaronis, la farine, le pain, les fruits secs étaient également surnommés « Canada », peut-être parce que dans l’imaginaire des Européens ce pays était synonyme de richesse et d’abondance ? Il arrivait donc que nous soit servie au menu la « soupe Canada », une variante bienvenue dans la monotonie de notre régime alimentaire, qui consistait en du pain trempé dans de l’eau et était, selon les ingrédients – des morceaux de fruits, de gâteaux, de petits pains, de journaux, et même assez souvent de cuir ou de clous – sucrée ou salée.
Les détenus qui travaillaient au « Kommando Canada » étaient chargés de trier le butin et parvenaient à « organiser » des tas de choses. Quotidiennement, ils échangeaient de pauvres savates de camp contre de bonnes et solides chaussures, s’enroulaient des draps autour de la taille, s’enfonçaient des montres en or dans le rectum, cachaient des pierres précieuses dans leurs narines et remplissaient leur calot de billets de banque. Ainsi naissait un véritable trafic, où des financiers d’un genre nouveau imposaient le
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