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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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robe rayée bleu et blanc me glissa un morceau de poulet rôti dans la poche et me pressa de retourner au travail.
    J’eus le temps d’apercevoir quelques pièces du rez-de-chaussée, en repartant. Elles étaient luxueusement aménagées, dignes d’une maison princière, tapis, tableaux, rien ne manquait ! Oui, une fois leur cupidité satisfaite, les « seigneurs » de la race supérieure avaient de bonnes raisons de pouvoir se détendre dans leurs fauteuils… Leurs esclaves affamés – et ils étaient nombreux – ne coûtaient rien ou si peu et leurs fils, parfaitement entraînés – et non moins nombreux – mettaient leur vie « au service de la Patrie ».
    Parmi les Témoins de Jéhovah, qui avaient été arrêtés en raison de leur inflexible refus de la guerre, seules restaient encore les femmes. La plupart étaient de nationalité allemande ou polonaise. Pour mieux exploiter leur légendaire honnêteté, les dieux de la guerre les avaient directement mises à leur service, et c’est ainsi qu’elles servaient les SS en qualité de cuisinière ou de gouvernante.
    Apparemment incapables de faire du mal, même à leur pire ennemi, les femmes membres de la secte des Témoins de Jéhovah avaient acquis des postes de confiance d’un niveau de responsabilité tel, que le caractère restrictif de leur statut de prisonnière relevait plus du symbole que de la réalité. Esclaves plus que prisonnières, elles faisaient partie des meubles SS, à l’intérieur comme à l’extérieur du camp. Elles demeuraient chez eux, et pouvaient librement se mouvoir dans le cadre de leurs fonctions. Voir une femme en tenue de déportée dans un magasin, aussi étrange cela puisse-t-il paraître, était néanmoins une des curieuses réalités auxquelles la population avoisinante finissait par s’habituer. Tout le monde savait que ces femmes ne tenteraient ni d’engager la conversation ni de fuir, car elles respectaient la parole donnée avec un scrupule quasi religieux. D’ailleurs, à leurs yeux, la rompre n’aurait servi à rien.
    Nous aimions bien les Témoins de Jéhovah, mais c’était essentiellement dû au fait qu’elles nous aidaient. Pourtant, elles méritaient beaucoup mieux que cela, car leur conduite vis-à-vis de l’existence, aussi particulière leur conception puisse-t-elle paraître, prouvait qu’elles avaient du courage. Dieu n’était aucunement Juge, Il ne demandait pas que l’on partît en croisade ou autres guerres saintes pour Lui, Il n’était pas là pour pardonner aux pécheurs. « Seule notre conduite nous mènera au Salut, affirmaient-elles, courageuses et inflexibles. C’est en elle qu’Il se révèle. »
    La douche était l’occasion pour nous de voir les multiples cicatrices, dont notre peau, devenue flasque, était couverte, et nous comparions entre nous ces marques laissées par les phlegmons, les abcès, les maladies de peau, sans oublier les zébrures des coups de fouet – toutes avaient une forme, une taille et une couleur particulières. Nous en portions tous, sans exception. L’hiver 1943 avait vu « fleurir » les abcès en tout genre, véritable malédiction de la malnutrition et il y eut une épidémie de phlegmons, qui se propageaient sur le corps entier. Les années précédentes avaient, paraît-il, été pires encore. Cette fois, ils se fixaient surtout sur les jambes. Lorsqu’on appuyait avec son doigt sur les mollets, et qu’une trace creuse restait après la pression, c’était alors signe de rétention d’eau, et nous nous transformions en véritables éponges vivantes. « Foutus gonflements, disaient nos anciens, c’est parce que vous buvez trop d’eau croupie aux robinets ! Garçons, si vous ne dormez pas en gardant les jambes surélevées, cela va monter jusqu’au cœur. Arrêtez de boire, sinon vous allez gonfler comme des baudruches. »
    Il ne fallait pas plaisanter avec ce sujet. En effet, l’eau, en dehors de l’air, était la seule nourriture qui ne nous soit pas rationnée ni réduite à la portion congrue, la seule chose dont nous disposions à volonté, et si nous devions être privés des robinets, nous allions sécher très vite comme des fleurs – de vilaines fleurs en plus – à qui plus personne ne s’intéresserait plus. Et cela, c’était pire !
    La nudité dans la salle de douche dévoilait une autre chose, également répugnante : le corps rouge et complètement écorché des nouveaux arrivants, qui n’étaient pas

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