Survivant d'Auschwitz
onze ans de camp derrière eux – étaient inquiets. Tout le monde était tendu et irrité.
La nuit tomba, nous restions assis sur nos paillasses, anxieux – dressant l’oreille vers les bruits de l’autre côté des barbelés, qui pouvaient signifier un danger.
Le travail fut repris le lendemain vers midi. La menace était passée, mais nos inquiétudes avaient eu toutes les raisons d’être, car il s’avéra – lorsque la vérité sortit – qu’il s’agissait d’un complot plus téméraire que nous n’aurions jamais pu l’imaginer.
Un kommando formé de cent détenus russes et juifs, à Budy* 1 , avait attaqué les gardiens et s’était échappé. Au même moment, des détenus de Birkenau avaient mis le feu à l’un des crématoires, dans l’intention soit de détourner l’attention de la tentative d’évasion, soit de provoquer un effet de panique, et rendre ainsi possible d’autres évasions. Le groupe de Budy avait réussi à aller jusqu’à la forêt et espérait atteindre les contreforts des Carpates – situés à environ cinq heures de marche – pour rejoindre les partisans. Seuls y parvinrent quelques heureux. Le dernier obstacle difficile, la Vistule, était truffé de patrouilles fluviales surveillant tous les alentours, même chose pour la Sola, un affluent parallèle ; partout, à chaque croisement de routes, sur chaque pont, des postes de contrôle barraient le passage.
Encerclés par un cordon militaire, soutenu par des unités de police qui attendaient de les cueillir, les courageux rebelles, poursuivis par une pléthore de SS féroces avec leurs chiens, n’avaient eu d’autre choix que de se rendre et ce fut alors un massacre.
Le crématoire avait complètement brûlé, mais son travail fut remplacé par les deux autres. La révolte avait échoué.
On découvrit plus tard que les armes des « révoltés de Budy » provenaient des usines de l’ Unionswerke , l’usine de munitions où travaillaient les détenus. Trois jeunes filles y avaient subtilisé un pistolet et suffisamment d’explosifs pour faire sauter tous les fours du crématoire.
Héroïnes inconnues, la pendaison fut leur destin. Leur exécution eut lieu dans le camp des femmes et fut un grand choc pour les détenues qui n’avaient jamais assisté à plus cruel spectacle. Simples maîtresses de maison pour la plupart d’entre elles, elles découvraient dans toute son horreur la brutalité, qui actionnait la roue de l’Histoire. Trois jeunes femmes pendaient à une potence de quatre mètres de haut – victimes muettes qui avaient sacrifié leur vie en combattant pour la libération du monde ; elles incarnaient le courage et la détermination pour leurs camarades, l’honneur pour les adolescents.
Le camp des hommes comptait beaucoup de détenus, directement victimes des représailles, et de nombreuses pendaisons publiques eurent lieu chaque mois. Toute personne qui avait tenté de fuir voyait la vengeance frapper ses proches parents, puis ses camarades de travail. Un de mes voisins, membre d’un kommando de maçons, en fut victime et j’en fus le témoin impuissant. Cent détenus se tenaient en position de garde-à-vous, sans savoir ce qui les attendait. Un homme sur cinq recevait l’ordre de s’avancer : sélectionné, il était pris comme otage.
Un jour, la pendaison de douze Polonais fut décidée, à titre d’intimidation. Elle fut un échec pour les nazis mais plus encore, la preuve d’un acte de résistance inattendu. À la fin de l’appel, nous eûmes l’ordre de passer devant la potence, mais nous avions faim, étions fatigués et n’avions aucune envie de nous soumettre à ce genre de caprices. La nuit tombait, lorsque les premières colonnes reçurent l’ordre de tourner à gauche pour se diriger vers la place, devant les cuisines, où avaient lieu ces pendaisons ; à notre surprise, ils n’obéirent pas. Rassemblés dans la cour et s’impatientant, ceux qui suivaient retournèrent se mettre à l’abri dans leurs blocs, entourés de murs. Tous firent de même, mettant fin au spectacle. Pour la première fois, nous nous étions imposés.
*
Je fus transféré dans un nouveau kommando de travail, chargé de construire un abri antiaérien prévu à l’usage personnel des officiers SS, qui vivaient dans la ville d’Auschwitz.
Quotidiennement, entourés de six gardiens, nous empruntions pour aller au chantier une route départementale sur une distance de plusieurs
Weitere Kostenlose Bücher