Taï-pan
aussitôt. C’était un billet en chinois. Il l’avait montré à Wolfgang Mauss.
« Cela explique comment te rendre à une certaine maison, monsieur Struan. Et puis un message : “Le Taï-pan de la Noble Maison a besoin de certains renseignements particuliers pour le bien de sa maison. Qu’il vienne secrètement à la porte de côté à l’Heure du Singe.”
— Qu’est-ce que c’est que l’heure du singe ?
— Trois heures de l’après-midi.
— Où est la maison ? »
Wolfgang le lui avait expliqué, en ajoutant :
« N’y allez pas. C’est un piège. N’oubliez pas que votre tête a été mise à prix cent mille taels.
— La maison n’est pas dans le quartier chinois, avait déclaré Struan. En plein jour, ça ne peut pas être un piège. Rassemble l’équipage de mon canott’. Si je ne suis pas revenu sain et sauf d’ici une heure, venez me chercher. »
Il y était donc allé, laissant Wolfgang et l’équipage armé dans le voisinage, prêts à intervenir s’il le fallait. La maison était accolée aux autres, le long d’une rue paisible et bordée d’arbres. Struan était entré par une porte, dans le grand mur, et s’était trouvé dans un jardin. Une domestique chinoise l’attendait. Elle était bien vêtue, en pantalon et tunique noirs, les cheveux en chignon sur la nuque. Elle s’était inclinée et lui avait fait signe de la suivre sans faire de bruit, puis l’avait conduit dans la maison, par un escalier privé au premier étage et dans une pièce. Il l’avait suivie avec méfiance, aux aguets.
La pièce était richement meublée et des tapisseries ornaient les murs. Il y avait des chaises, une table, un mobilier chinois en bois de teck. La maison sentait le propre, avec une légère note d’encens subtil. L’unique fenêtre donnait sur le jardin.
La domestique alla à l’extrémité d’une des parois et souleva un morceau de boiserie, révélant un minuscule judas. Elle regarda par le trou, puis fit signe à Struan de l’imiter. Il savait que c’était un vieux subterfuge chinois pour duper un ennemi : on l’invitait à coller son œil à un trou et derrière la cloison un adversaire attendait avec une longue aiguille. Il garda donc son œil à distance prudente du trou, mais cela ne l’empêcha pas de voir nettement la pièce voisine.
C’était une chambre à coucher. Wang Chu, le mandarin en chef de Macao, était couché sur le lit, complètement nu, sa corpulence étalée, et ronflait bruyamment. Mary était nue à côté de lui. Elle avait les bras croisés sous la nuque et contemplait le plafond.
Struan regardait, fasciné et horrifié. D’un geste langoureux, Mary poussa légèrement Wang Chu, le réveilla et se mit à rire, puis bavarda avec lui. Struan avait toujours cru qu’elle ne comprenait pas le chinois, et voilà qu’elle le parlait couramment ! Pourtant, il la connaissait mieux que quiconque – à l’exception de son frère Horatio. Elle agita une petite sonnette et une servante entra pour aider le mandarin à s’habiller. Wang Chu ne pouvait rien faire lui-même car il avait des ongles de huit centimètres protégés par des fourreaux ornés de pierreries. Struan se détourna, écœuré, le cœur empli de haine et de dégoût.
Il y eut un brusque brouhaha de voix chantantes et nasillardes, dans le jardin, et Struan alla jeter un regard prudent par la fenêtre. Les gardes de Wang se rassemblaient dans le jardin ; ils lui coupaient toute fuite. La domestique fit alors signe à Struan de ne pas s’inquiéter, lui versa du thé, s’inclina et le laissa.
Au bout d’une demi-heure, les hommes quittèrent le jardin et Struan les vit s’aligner devant une chaise à porteurs, dans la rue. Deux d’entre eux aidèrent Wang Chu à s’y asseoir ; puis ils l’emportèrent.
« Bonjour, Taï-pan. »
Struan sursauta et pivota, en dégainant son couteau. Mary se tenait sur le seuil, vêtue d’une longue robe diaphane qui ne dissimulait rien de ses formes. Elle avait de longs cheveux blonds, des yeux bleus, une fossette au menton, de longues jambes, la taille fine et la poitrine ronde et ferme. Un inestimable pendentif de jade au bout d’une chaîne d’or ornait son cou. Mary examinait Struan avec un étrange sourire froid.
« Vous pouvez ranger le couteau, Taï-pan. Votre vie n’est pas en danger. »
Sa voix était calme, moqueuse.
« Tu devrais avoir le fouet ! lui cria-t-il.
— J’en ai eu ma part,
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