Taï-pan
commencer à Glasgow, et le combat naval de l’année prochaine contre Wu Kwok – s’il était encore en vie – ou contre Wu Fang Choi et ses pirates. Il se demanda si les gamins de Scragger arriveraient à bon port. Il faudrait attendre un mois avant qu’ils arrivent en Angleterre, et trois mois de plus pour le savoir.
Il ferma son bureau, se rendit au club anglais et bavarda un moment avec Horatio, puis avec quelques marchands ; il fit une partie de billard mais n’y trouva aucun plaisir. On ne parlait que de commerce, de l’incertitude des temps, des signes de danger à l’échelle internationale.
Il alla s’asseoir dans la vaste salle de lecture silencieuse et prit un des journaux du dernier courrier, dont les nouvelles étaient vieilles de trois mois.
Avec effort, il parcourut un éditorial. Il parlait de l’agitation dans la zone industrielle des Midlands et déclarait qu’il était impératif de payer des salaires honnêtes pour un travail honnête. Un autre article déplorait le chômage et réclamait l’ouverture de nouveaux marchés pour soutenir la production, demandait à la production des marchandises meilleur marché, de l’embauche, des salaires plus élevés.
Il y avait des articles sur la tension et le danger de guerre entre la France et l’Espagne au sujet de la succession d’Espagne ; la Prusse étendait ses tentacules sur tous les États allemands et un conflit franco-prussien était imminent ; des nuages de guerre planaient sur la Russie et le Saint-Empire des Habsbourg, et sur les États italiens qui voulaient se débarrasser du roi de Naples, l’usurpateur français, et s’unir ou ne pas s’unir, et le pape, soutenu par la France, était entraîné dans l’arène politique ; la guerre menaçait en Afrique du Sud, parce que les Boers – qui au cours des quatre dernières années avaient quitté la colonie du Cap pour créer le Transvaal et l’État libre d’Orange – visaient à présent la colonie anglaise du Natal et l’on s’attendait à ce que le prochain courrier annonçât la guerre. Il y avait des émeutes antisémites et des pogroms en Europe centrale ; les catholiques se battaient contre les protestants, les musulmans contre les hindous, les catholiques et les protestants, et se battaient entre eux ; il y avait des guerres indiennes en Amérique, de l’hostilité entre les États du Nord et du Sud des États-Unis, de l’animosité entre l’Amérique et la Grande-Bretagne à cause du Canada, des troubles en Irlande, en Suède, en Finlande, aux Indes, en Égypte, dans les Balkans…
« Peu importe ce qu’on lit ! fulmina soudain Struan sans s’adresser à personne. Le monde entier est fou, nom de Dieu !
— Qu’est-ce qui ne va pas, Taï-pan ? demanda Horatio, tiré de sa rêverie haineuse.
— Le monde entier devient fou, voilà ce qui ne va pas ! Pourquoi diable les gens ne veulent-ils pas vivre en paix ? Pourquoi se battre perpétuellement ?
— Tout à fait d’accord, cria Masterson de l’autre bout de la pièce. Absolument. Un endroit terrible pour y mettre des enfants au monde, par Dieu. Le monde entier s’en va à vau-l’eau. C’était bien mieux autrefois, non ? Répugnant.
— Oui, dit Roach. Le monde va trop vite. Le maudit gouvernement a la tête à la place du cul, comme toujours. Bon dieu, on croirait qu’ils comprendraient, mais pensez-vous. Tous les foutus jours que Dieu fait, on lit que le Premier ministre a déclaré qu’il fallait se serrer la ceinture. Pour l’amour de Dieu ! Avez-vous jamais entendu quelqu’un dire qu’on pouvait la desserrer d’un cran ?
— Il paraît que la taxe d’importation sur le thé a été doublée, annonça Masterson. Et si jamais cet aliéné de Peel prend le pouvoir, le bougre est sûr de nous amener l’impôt sur le revenu ! Cette invention du diable ! »
Il y eut des vociférations générales et chacun jeta son venin sur la tête de Peel.
« C’est un foutu anarchiste ! déclara Masterson.
— Ridicule, protesta Roach. C’est pas les impôts ; c’est tout simplement qu’il y a trop de gens. La régulation des naissances, voilà ce qu’il faut.
— Quoi ? rugit Masterson. Vous n’allez pas recommencer avec cette répugnante idée blasphématoire ! Bon dieu, est-ce que vous êtes contre le Christ ?
— Non, bon Dieu. Mais nous sommes envahis et débordés par les basses classes. Je ne dis pas que nous devrions le faire, mais ces gens-là
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