Taï-pan
l’enlèvement et le duel, pas vrai ? grinça Brock.
— Sûr. »
Struan laissa se dérouler la chaîne de son arme qui cliqueta horriblement. Il dut encore faire un effort pour se rappeler ce qu’il avait projeté de dire. Brock serra les doigts sur le manche de son fouet de fer et avança d’un pas.
Seuls, les yeux de Struan bougèrent.
« Je regrette que Gorth soit mort comme ça, dit-il. J’aurais eu plaisir à le tuer. »
Brock ne répondit pas. Mais il changea imperceptiblement de position ; le vent d’est soulevait ses cheveux. La dague de Struan jaillit à sa main et il fléchit légèrement les genoux.
« Tess est vérolée », dit-il.
Brock sursauta.
« Elle l’est pas ! Le docteur a dit que Culum avait rien !
— Les docteurs, ça s’achète, insista Struan, cédant à l’appel du sang. Elle a été vérolée, délibérément !
— Bon Dieu, tu… »
Brock leva le fer de combat et se rua sur Struan. Les pointes de métal manquèrent d’un cheveu les yeux du Taï-pan. Struan recula et frappa à son tour, mais Brock avait fait un saut de côté et ils se mirent à tourner l’un autour de l’autre comme des bêtes fauves.
« Par Gorth ! C’était ce que Gorth voulait ! hurla Struan pressé d’en avoir fini de parler. T’entends ? C’est Gorth qui a fait ça ! »
La tête de Brock bourdonnait. Il ne pensait qu’à une chose, tuer son ennemi.
Il y eut une nouvelle escarmouche violente et les fers de combat cliquetèrent et se heurtèrent en l’air. Brock para un coup de couteau et Struan pivota hors de portée en comprenant qu’il ne pourrait plus se maîtriser longtemps.
« Gorth a voulu la vérole !
— Tu mens, nom de Dieu !
— Gorth a fait boire de l’alcool drogué à Culum. Et un aphrodisiaque. Gorth a payé un bordel pour qu’on le fasse coucher avec une fille vérolée. Il voulait que Culum ait la vérole ! Voilà ton maudit fils du diable ! Compris ?
— Menteur !
— Par la grâce de Dieu, Culum n’a pas la vérole. J’ai seulement dit ça pour te faire comprendre pourquoi je voulais tuer Gorth. Culum n’a rien et Tess non plus !
— Quoi ?
— Sûr. C’est la vérité, devant Dieu !
— Démon ! Blasphémateur ! Tu mens devant Dieu ! »
Struan feinta et Brock recula, menaçant. Mais Struan ne leva pas son arme. Il franchit le portail de l’église abandonnée et alla jusqu’à l’autel.
« Devant Dieu, je jure que c’est la vérité ! »
Il se retourna, et perdit toute raison. Il n’entendait plus rien qu’un sourd grondement de sang à ses tempes, et le monde entier n’était plus que Brock et le désir frénétique de tuer. Il redescendit vers le portail, lentement.
« Gorth a assassiné une putain à Macao et une autre ici, siffla-t-il. Voilà encore une vérité. Son sang n’est pas sur mes mains, mais le tien va y être. »
Brock recula à l’air, sans quitter Struan des yeux. Le vent était tombé et il comprit inconsciemment que c’était étrange, insolite. Mais il n’y prit pas garde.
« Alors… alors tu avais une raison, murmura-t-il. Je retire ce que j’ai dit. Tu avais une raison, bon Dieu. »
Il était maintenant dehors, et il s’arrêta, dérouté.
« Je retire tout ce que j’ai dit, pour Gorth. Mais c’est pas ça qui règle les comptes entre toi et moi. »
Sa rage le brûlait, sa fureur contre Gorth et contre Struan, et il savait maintenant qu’il devait se battre et frapper et tuer. Pour sauver sa peau.
Et puis il sentit un vent différent sur sa joue.
Brusquement, ses idées s’éclaircirent. Il se tourna vers le continent.
Struan fut décontenancé par le brusque mouvement de Brock, et il hésita.
« Le vent a changé, souffla Brock d’une voix rauque.
— Hein ? »
Méfiant, craignant une ruse, Struan recula. Puis il se tourna lui aussi vers le continent chinois, l’oreille tendue, goûtant le vent.
Il soufflait du nord.
Doucement, mais indiscutablement.
« Un grain, peut-être », gronda Brock.
Sa propre voix était douloureuse à ses oreilles, son cœur battait follement ; toutes ses forces l’abandonnaient.
« Ça viendrait pas du nord ! » dit Struan, calmé lui aussi.
Mon Dieu, songea-t-il, pendant une minute j’ai été comme une bête. Sans la saute de vent…
« Typhon ! »
Ils contemplèrent la rade. Les jonques et les sampans regagnaient précipitamment la terre.
« Sûr, dit Struan. Mais c’est la vérité que je
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