Talleyrand, les beautés du diable
Metternich.
Ayant payé une partie de Valençay, il se croyait tout simplement chez lui. Les consignes qu’il donne alors à Charles Maurice sur un ton comminatoire sont assez explicites.
— Soyez à Valençay dès lundi soir. Ils arriveront mardi. Mon chambellan, Tournon, s’y rend en poste pour tout préparer pour les recevoir. Faites en sorte qu’il y ait là du linge de table et de lit, de la batterie de cuisine. Ils auront huit ou dix personnes de service d’honneur, et autant ou le double de domestiques. Je donne des ordres au général qui fait les fonctions de premier inspecteur de la gendarmerie. Je désire que ces princes soient reçus sans éclat extérieur, mais honnêtement, et avec intérêt, et que vous fassiez tout ce qui sera possible pour les amuser. Si vous avez un théâtre au château et que vous fassiez venir quelques comédiens, il n’y aura pas de mal. Vous pourriez y faire venir madame de Talleyrand avec quatre ou cinq femmes. Si le prince des Asturies s’attachait à quelque jolie femme et qu’on en fût sûr, cela n’aurait aucun inconvénient puisqu’on aurait un moyen de plus de le surveiller...
Quel coup de cravache ! Non seulement on lui demandait de tenir les clefs de la prison mais on le priait aussi de jouer les entremetteurs !
Et d’accepter d’être cocu.
Car le drapeau espagnol à bandes rouges et or ne flotta que peu de jours au sommet du gros donjon de Valençay avant que Kelly ne succombât aux avances du duc de San Carlos.
— Cet écuyer des Infants ne resta pas longtemps insensible aux charmes fanés de la grosse maîtresse de maison, s’amusa alors un chroniqueur. L’hidalgo sut bien profiter de certaines de ses ardeurs que son mari avait depuis si longtemps négligées.
— Je suis bien malheureux, avoua alors Charles Maurice à son ami le marquis d’Osmond.
Talleyrand malheureux ? Parce que l’Empereur le rabaissait et que sa femme le trompait ?
On nous l’aurait changé !
Chapitre treize
Le fatal bas de soie
À l’été de 1808 Charles Maurice est donc « bien malheureux ».
Parce qu’il a appris la mort de son neveu, Louis de Périgord, à Berlin, dans les souffrances de la fièvre typhoïde. « Officier de valeur, gentilhomme d’une loyauté et d’une bravoure exemplaires, ami irréprochable, Talleyrand l’avait désigné comme son héritier, la principauté de Bénévent lui était destinée. »
— Oui, se lamenta-t-il, en lui je voyais après moi un chef à ma famille et un chef qui avait l’estime et la bienveillance générale. À présent elle n’en a plus.
Et son visage était marqué, serré par le chagrin. Pour une fois que sa figure exprimait une émotion !
« Jamais visage ne fut moins baromètre », selon Stendhal.
Plus militaire et plus cru que l’homme de La Chartreuse de Parme , le maréchal Lannes en convenait.
— Il peut recevoir un grand coup de pied au cul sans qu’il y paraisse à son visage.
Il est parfaitement impassible, d’ailleurs, quand l’Empereur, rentré à Paris, le convoque aux Tuileries pour lui demander de rédiger un projet de traité de non-agression à l’intention du tsar Alexandre I er , une convention qui puisse faire peur à l’Autriche et paralyser l’Angleterre.
— Nous signerons ce document à Erfurt où vous vous rendrez pour la fin du mois de septembre. Faites vos dispositions, dit Napoléon. Vous préparerez le terrain, je vous rejoindrai.
Il s’agissait en réalité de convenir d’une paix pour mieux faire la guerre. Charles Maurice en avait assez de cette course à la mort qui, si on y mettait un frein, finirait par saigner dangereusement la belle jeunesse de la France et de l’Europe. À cette époque, les policiers de Fouché – les meilleurs limiers de la planète – n’ignoraient pas que plus de trois cent mille conscrits se terraient dans les campagnes et dans les bois pour échapper à l’uniforme. Ces jeunes gens-là ne criaient plus « vive l’Empereur », ils grognaient « maudite guerre ».
— J’en ai vu beaucoup qui se faisaient arracher toutes les dents pour ne pas être enrôlés, raconte le préfet de la Seine inférieure. J’en ai vu qui parvenaient à les carier presque toutes en employant des acides ou en mangeant de l’encens. Quelques-uns se faisaient des plaies aux bras et aux jambes par l’application de vésicatoires et, pour rendre ces plaies incurables, ils les pansaient avec de l’eau imprégnée
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