Talleyrand, les beautés du diable
Dorothée I, consignée dans le harem parisien des beautés vieillissantes, avait eu peine à le croire. Et ce ne furent pas les nombreuses lettres qu’elle reçut de son vieux filou d’amant durant les neuf mois que durèrent les négociations qui parvinrent à apaiser son irritation. Même s’il lui écrivait régulièrement : « Je vous aime et je vous embrasse... Je vous aime de tout mon coeur... J’embrasse tendrement mon cher ange... », elle n’était pas dupe de tout ce qui se tramait.
Quant à Edmond, le mari officiel de la jeune accompagnatrice du ministre plénipotentiaire, récemment promu général de brigade sur un coup de baguette magique, il avait tout simplement été tenu pour quantité négligeable. Il est vrai que, couvert de maîtresses comme il l’était, il ne risquait pas de regretter un seul instant sa jeune épouse.
Il ne l’avait jamais aimée.
Et elle non plus.
En revanche Dorothée II n’était pas insensible au charme de son vieil oncle par alliance.
Ce qui peut tout de même paraître un peu stupéfiant !
Car, quand l’un boitait bas du haut de ses soixante ans et commençait de ressembler à un vieux noceur au visage ridé par les nuits blanches passées derrière les tables de tripot, la belle enfant ne comptait que vingt-deux printemps. Si elle était belle ? Ce n’est pas Prud’hon, qui l’a portraitisée avec tant de délicatesse, qui oserait nous soutenir le contraire. Elle a le plus joli petit nez du monde, la lèvre sensuelle, de grands yeux bleu foncé brillants qui lui mangent des joues qui semblent douces comme de la peau de pêche. Et que dire de ses petits seins pommelés mis en valeur avec tant d’arrogance par des balconnets comme aimait en porter l’ancienne impératrice Joséphine.
Talleyrand eut-il fort à faire pour l’attendrir ? Sans doute pas. Il lui avait suffi d’être insidieux, « onctueusement perfide » et surtout très patient.
Et Dieu sait qu’il pouvait l’être !
D’autant que le terrain était propice. Dorothée n’avait-elle pas connu une existence d’enfant prodige, pourrie-gâtée ; une jeune vie de conte de fées ? À douze ans, elle tenait déjà salon dans sa petite cour berlinoise où elle avait coutume de recevoir le gotha culturel du temps, à savoir par exemple Wilhelm von Humboldt, un grand ami de Goethe, et son frère Alexandre, le naturaliste ; le poète Müller ou le fameux auteur et acteur dramatique Auguste Guillaume Iffland ; sans oublier le grand Schiller lui-même...
Elle semblait être passée directement de l’enfance à l’âge adulte.
Et d’adulte à adultère, il n’y avait qu’un pas...
— Au vrai, dit un témoin du temps, elle était aussi remarquable par la subtilité de son esprit que par la dépravation de son coeur.
À partir de quel moment Dorothée devint-elle la gourmandise d’automne de Charles Maurice ? Avant le congrès de Vienne, peut-être. Mais comment l’affirmer puisque les documents font défaut et que les dates du coeur sont rarement précises ?
Quand le vieux tonton bienveillant s’était-il transformé en vieil oncle concupiscent ?
Une chose est sûre, arrivé à Vienne la duchesse mère n’était plus là pour l’encombrer.
— Qu’avez-vous fait pendant le Congrès ? lui demanda-t-on un jour.
— J’ai boité, répondit-il.
Mais, dans le même temps, tous les grands d’Europe réunis sur les rives du Danube furent bientôt unanimes à reconnaître que le négociateur de Louis XVIII avait trouvé chaussure à son pied.
— La nièce du prince de Bénévent était la maîtresse de maison rêvée, dit le chroniqueur André Germain, sans doute tombé sous le charme, lui aussi. Non seulement il y avait en elle des manières enjôleuses et toutes les grâces du corps, mais aussi une expérience politique précoce, un tact étonnant, toutes les subtilités de l’esprit. Égérie discrète, elle ne pontifiait jamais. C’était entre deux contredanses ou sur le rebord d’un canapé qu’elle avait, de temps en temps, exactement le mot qu’il fallait.
En réalité, parmi les très nombreuses femmes qui partagèrent un jour l’intimité du Diable boiteux, Dorothée II fut probablement celle avec laquelle il eut le plus d’atomes crochus.
Crochu comme cet horrible pied droit qui ne sembla pourtant jamais épouvanter la quatrième enfant de la duchesse de Courlande.
Bien qu’elle le décrivît comme « un sabot tout en chair et terminé
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